Le doigt pointé. Le doigt qui accuse de blasphème et désigne à la vindicte. Ce doigt accusateur tue aussi sûrement que la lame d'un poignard ou la balle d'un fusil. Après avoir vécu pendant des décennies sous la menace, Salman Ruschdie en fait l'expérience jusqu'à ce jour pour avoir écrit à la fin des années 80 du siècle dernier Les versets sataniques.

Le doigt pointé. Le doigt qui désigne à tous celles dont la vie est dissolue, celles qui vivent dans le vice et qui sont la honte d'une société vertueuse. Ce doigt accusateur qui se mue en mains qui strangulent et donnent la mort.

Une journaliste de Téhéran enquête à Mashhad, deuxième ville d'Iran et ville sainte, suite à une série de meurtres de femmes qui se droguent et se livrent à la prostitution. La police locale et le cadi (juge de l'ordre judiciaire comme des affaires religieuses dans l'Islam) ne sont pas pressés d'arrêter le coupable qui agit la nuit et téléphone dès le matin qui suit à un journaliste local une fois son forfait accompli, pour que le corps soit vite retrouvé et identifié.

Pour quelles raisons mettre fin aux agissements d' « une main purificatrice » qui nettoie la ville de ses créatures impies ?

Rahimi/Zahra Amir Abrahim est cette journaliste qui force la main à la police et à la justice ; Saeed Hanaei /Mehdi Bajestani est ce brave homme, pieux , bon époux et père de famille aimant qui se sent investi de la mission divine de purifier la ville sainte et honorer ainsi la mémoire de l'imam Ali ar-Ridhâ dont la ville abrite le mausolée.

Rahimi fait le guet des nuits entières en espérant voir le Justicier passer à l'acte avant de se mettre elle-même en danger en servant d'appât sous la surveillance de son collègue et ami  Sharifi /Arash Ashtiani. Elle échappe à la mort et confond Saeed Hanaei qui est arrêté et traduit en justice pour assassinats.

Jusque là, le réalisateur Ali Abbasi conduit l'histoire inspirée de faits réels qui se sont déroulés à Mashhad d'une manière assez conventionnelle comme un thriller classique. La seconde phase du film est plus spécifiquement iranienne, du moins à première vue.

Un juge qui doit émettre un jugement suite aux réquisitions d'un procureur et à une plaidoirie de défense pour l'apparence, puis une sorte de jeu de bascule où l'opinion de la rue l'emporte peu à peu. L'ancien combattant Saeed Hanaei serait victime d'un stress post-traumatique qui lui vaut circonstances atténuantes puis exonérantes. En coulisse, le procureur représentant la société et le représentant des anciens combattants décident l'absolution que les manifestations de rue exigent bruyamment.

L' inévitable condamnation à la mort par pendaison peut être évitée pour cause de dérangement mental donc irreponsabilité pénale. Puis tout bascule, l'opinion de la rue et le fanatisme religieux du condamné se rejoignent et l'emportent. Saeed Hanaei revendique la folie mais pas celle suite à un traumatisme. Il se veut fou de...Dieu. Il se veut le glaive vengeur et rédempteur dont l'action a été entravée, car sur les 200 pécheresses qu'il a identifiées, il n'a eu le temps que d'en exécuter 16. Sa sérénité n'est pas troublée cependant, il sait que sa succession est assurée par son propre fils de 16 ans à qui il a enseigné comment tuer avec efficacité pour plaire à Dieu et honorer l'imam Ali ar-Ridhâ qui a guidé ses propres mains.

Salman Ruschdie a fait l'objet d'une agression au couteau en exécution d'une fatwa en août 2022 au moment de donner une conférence littéraire. Son agresseur plaide non coupable. Peu importe qu'une fatwa même émise par un haut dignitaire religieux ne puisse valoir condamnation à mort. Peu importe que la fatwa n'ait jamais que la valeur d'un avis religieux, d'une jurisprudence ou d'un éclaircissement sur un point obscur de la religion.

De Salman Ruschdie, des Versets sataniques et de la tentative d'assassinat des derniers jours, il n'est bien sûr pas question dans le film. Il n'est pas davantage question des agissements d'une police qui se sait en phase avec une opinion publique quand un de ses membres posent son genou sur le cou d'un homme à la peau noire jusqu'à ce que mort s'en suive dans la ville de Minneapolis aux Etats-Unis.

L'idéologie, religieuse ou profane, le fanatisme, l'opinion publique, l'impunité peuvent avoir des goûts et des colorations variées pour des conséquences identiques.

Freddy-Klein
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le 2 nov. 2022

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