Ni dieu, ni maître, ni homme, ni femme, ni rien... Un problème qui reste un problème!

Critique rédigée en janvier 2020


Papillonnant en sélection officielle à Cannes en concurrençant l'immense Bong Joon-Ho, le franco-malien Ladj Ly ne pouvait passer inaperçu avec ses Misérables annonçant au regard du titre une relecture censée du roman de Hugo (1862), ainsi que auto-remake d'un court-métrage éponyme réalisé en 2017. D'ores et déjà quasi-unanimement considéré comme La Haine (1995) de Matthieu Kassovitz traduit en langage filmique 2019, nous pouvions craindre qu'un succès si fulgurant ne tienne qu'à la peinture d'un sujet aussi précaire que la précarité sociale de la Seine-Saint-Denis.


Stéphane (Damien Bonnard) débarque de sa Normandie natale comme brigadier anticriminalité à Montfermeil, en pleine Seine-Saint-Denis, en compagnie de Chris et Gwada, bien plus expérimentés dans le milieu. L'un est grande bouche et sadique, l'autre plus raisonnable mais maladroit dans ses méthodes. Entre eux, le personnage incarné par le comédien popularisé par son interprétation dans Le Chant du loup d'Antonin Baudry au début de l'année, qui le coeur entre deux chaises, est chargé malgré lui d'assurer la paix dans un quartier des plus malfamés où prolifèrent mauvaises graines, personnes au niveau social fragile et vulgaires (au sens stricte du terme) personnages en tout genre. Le groupe va se frotter aux plus rudes cas de la cité engageant un mécanisme infernal se terminant en véritable tragédie de sang et de larmes.


C'est non sans déplaisir que mes craintes se sont vite dissipées au fil de la progression du film: punaise la claque ! Encore une de la part de Cannes me direz vous, il est de ces films qui exemptent tout préjugé qui soit sur le festival en proposant un discours neutre type et de géniales idées de mise en scène.
Avec Les Misérables, Ladj Ly livre le portrait juste et touchant d'une jeunesse abandonnée à elle-même par le biais d'une histoire à la tension unique et à ces images de banlieue fracassantes tenant en haleine de la première image (d'archives) jusqu'à la citation finale, appropriée et confiante. La banlieue est abandonnée, par dépit de tous les enfants se contentent pour la plupart d'un appartement familial minable et de quelques morceaux de poubelle faisant office de luge, des cas négligés par la figure politique et la figure parentale. Parmi les différents acteurs et responsables de la violence qui hante le sein de la banlieue, on distingue à la fois les frasques de Chris, le brigadier méprisant nous donnant envie de le voir boxé par un des colosses du milieu, ainsi que le maire de figuration (Steve Tientcheu) qui peine à remplir son contrat par désintérêt du monde qui l'entoure.
Véritable course poursuite progressive, ce film démontre la traversée de la revanche des opprimés mais qui, pour fin de parler au plus de monde possible, choisit de traiter cette thématique sans manichéisme aucun puisque nous peinons à distinguer les membre de la brigade aux habitants de banlieue de tout type. L'intrigue se rend ainsi bien plus réaliste et objective qu'elle n'en a l'air au premier abord au sein de ce "monde à la dérive, où pareils aux autres animaux, nous n'aurions d'autre choix pour vivre que dans la jungle ou dans le zoo".


(Cette seconde petite référence musicale tire son apparition dans mon esprit de la séquence du cirque.)
Ly n'épargne guère le système judiciaire en peignant les abus de pouvoir des policiers de la BAC, et pour autant, il est très explicitement montré que le milieu regorge de cas sociaux nuisant radicalement la paisibilité des alentours ; une analogie faisant évidemment écho aux personnages du bagnard Jean Valjean et sa muse Cosette.


Au même titre que Kassovitz il y a vingt-cinq ans, Ladj Ly a pertinemment choisi de concentrer la totalité du récit filmique en moins de 24 heures, une expérience qui ne peut que faire froid dans le dos et qui ne sera pas sans conséquence sur les personnages et sur nous.


Ladj Ly arrive toujours à nuancer son propos par la multiplication des points de vue...


(même du côté technologique avec les scènes de vue subjectives émises par le drone du jeune garçon filmant malgré lui la bavure policière déclenchant, et accentuant les rebondissements impromptus du récit !)


Peut-on finalement y remédier ? Le film ne répond qu'approximativement à cette question dont nous n'espérons plus de réponse.


Les personnages, à défaut d'être attachants, sont naturels, honnêtes et leurs réactions suscitées à fleur de peau ne peuvent laisser insensibles les spectateurs qui comme moi, veillent à rester à l'écart d'une actualité politique peu fiable. Voués à s'autodétruire, chacun, que ce soit les flics surmenés et ne sachant plus où y mettre du leur, les enfants et adolescents rebelles et voleurs ainsi que les gangs violents ne sachant discuter qu'avec les poings. Chacun semble en quête d'un coupable à leur malheur au lieu d'en réellement chercher une solution.


En justification de certaines scènes de brutalités inimaginables telles que le massacre final dont nous connaîtrons jamais le dénouement, dans laquelle les gens les plus jeunes du milieu se rebellent contre les trois policiers et même contre leur propre maire ; une sorte de dernier fait d'arme pour s'imposer dans ce monde sans pitié.


Sur-ce, Les Misérables est un coup de coeur inattendu, inattendue, une claque scénaristique bouillonnante et tourné d'une beauté brute, sauvagement engagé et juste. Le discours politique sous-jacent ne prend jamais le pas sur l'intrigue, prenante et mise en scène à fleur de peau sans ni édulcorer ni exagérer dans le propos. Mon coeur a battu à toute allure tout au long et je n'escomptais pas compatir autant face à ce qui semble être en puissance, le film de toute une génération (perdue) !

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le 18 déc. 2020

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