« cette nuit-là nous fîmes tous le même rêve »

On ressort de ce film embrumé comme après un rêve intense et dérangeant. Il s’inscrit dans la lignée des films d’aventure, sur une île déserte, mais aussi du mythe originel, éden ou prison dorée, de la confrontation aux autres et à soi même, sans possibilité de foutre le camp.


Hybridation


On a beaucoup parlé du cinéma de Bertrand Mandico comme d’un cinéma ovni branché sur l’hybridation des genres, ce qui se vérifie sur le plan esthétique mais aussi thématique. Mêlant le film d’aventure à un conte surréaliste, Mandico nous emporte avec ce film sur une île déserte où tout est pulsions et images phalliques. Dès le départ, le ton est donné avec une bande de cinq jeunes hommes interprétés par cinq jeunes actrices culottées. Si le travestissement est fin et bien pensé, on reconnait malgré tout assez vite les femmes sous le costume. A l’exception de Vimala Pons qui est méconnaissable et livre une performance incroyablement précise et juste, chaque molécule de son corps se fait homme pour le film. On reconnait ici l’engagement total de l’actrice dans tout ce qu’elle fait, elle porte véritablement le film.


Peindre l’image


On sent un vrai désir de filmer l’étrange. Chaque plan est pensé comme une peinture. On perçoit la matière de l’image, le sable et l’eau, c’est un cinéma très physique qui filme les corps et leurs désirs, mais aussi la nature et les éléments. Le choix de la pellicule est là aussi très important. Un beau travail de la lumière très clipesque, en couleurs chaud-froid. Une esthétique qui nous emmène vraiment vers un ailleurs, sans déployer d’immenses artifices, sculpte des visages inquiétants. Les rares passages en couleur sont si beaux et si lumineux qu’on regretterait presque l’usage du noir et blanc, pourtant lui aussi très maitrisé, offrant un beau contraste, en clair obscur. Les touches de couleur arrivent sans qu’on s’y attende, puis repartent, comme des instants fragiles et fruités.


Inconscient, surréalisme et bricolage


On regrette que le passage dans le rêve ne se fasse pas plus progressivement, car dès que le film démarre nous sommes déjà dans un rêve, c’est ce qui contribue à ne pas forcément embarquer le spectateur : un rêve branché sur un rêve. On se raccroche cependant à la dimension mythologique qui traverse le film : tuer le père fonctionnel, violer la mère spirituelle. Quelque chose qui vient des lieux, hors du temps: champs, bateau, île déserte. Les Garçons sauvages est un film sur la transformation constante, sur la mue permanente qui se dérobe à notre volonté de nommer, de genrer. Cela passe par l’omniprésence de la végétation, des poils, de ce qui sort, de la terre et du corps, des organes sexuels qui poussent comme des fleurs. Car il y a quelque chose de vraiment organique dans le cinéma de Mandico qui ramène l’homme à la terre. Au delà de toutes ces considérations, un certain comique flirte avec le malaise : ce n’est pas un film où l’on rit, mais certaines situations sont tellement grotesques qu’on laisse échapper un ricanement, à l’image des fruits poilus testicules que les personnages mangent à longueur de journée ou des penis en silicone qui tombent sur la plage comme des dents de lait. Le personnage du capitaine représente ici une sorte de sur-moi, qui refoule les pulsions, on découvre ensuite qu’il est hermaphrodite tandis qu’il représente le symbole de la virilité. Il meurt deux fois : une première fois en tant qu’homme, ne gardant plus que son sexe de femme, puis une deuxième fois en tant qu’être. L’île qu’on connaissait paradisiaque, dangereuse, ou mystérieuse dans nombre de films, est ici lubrique à souhait : des jambes jaillissent du sol, des petites branches phalliques deviennent des abreuvoirs d’où sort un liquide blanc et délicieux qui coule à profusion. L’île est un espace de projection des passions que Mandico laisse cette fois à cette contrée lointaine nommée inconscient.


De la difficulté de comprendre un rêve


Deux choix se présentent alors au spectateur: ou bien il entre dans ce délire et se joint à cette orgie, ou bien il reste là mi-choqué mi-amusé par tout ce qui s’offre à ses sens. Une fois que le spectateur a choisi une de ces deux voies, il adorera ou détestera ce film. En écrivant cet article, il semble encore difficile de savoir de quel côté je me situe. Une chose est sûr l'oeuvre est une claque qui ne laissera personne indifférent tant par ses choix thématiques, narratifs qu’esthétiques, c’est un voyage à prendre ou à laisser, mais un voyage quoi qu’il arrive. Le spectateur est très actif dans ce film et doit véritablement aller à sa rencontre pour le comprendre pleinement. Mais plutôt que de le voir comme un film à message, on retiendra ce long métrage pour sa valeur d’évasion, qui nous jette dans un monde halluciné et hallucinant, aux formes inconnues, et ce qu’on reprochera finalement à Les Garçons sauvages, pensé comme un rêve, c’est notre difficulté à lui donner du sens au réveil.

Kenzavannoni
7
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le 28 févr. 2018

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