Francis, Pierre et Gérard pour un dernier tour de piste

Les Fugitifs fait partie de ces incontournables de la comédie française, de ceux parmi les plus appréciés de Francis Weber et régulièrement diffusés sur nos écrans. Il est malgré tout celui de la fin d’une époque, le dernier film entre le réalisateur et ses deux acteurs phares, Pierre Richard et Gérard Depardieu après La Chèvre et Les Compères en 1981 et 1983. Weber va même s’éloigner quelques temps du cinéma français, réalisant même un remake américain de ce film avec Three Fugitives.


Est-ce qu’il n’y avait pas une formule qui risquait d’apparaitre à bout de souffle, entre le personnage stoïque mais agacé par son partenaire et le compagnon loufoque et maladroit mais qui veut bien faire, entre Jean Lucas/Campana et François Perrin/Pignon ?


Ce qui réunit ces deux archétypes du film de Weber, bien malgré eux, c’est le cambriolage d’une banque. L’introduction est réussie, nous présentant Jean Lucas ayant purgé sa peine et sortant de la prison après en avoir parcouru toutes les pièces. L’inspecteur de police l’attend à la sortie, le provoque mais Lucas veut se ranger des braquages, filer dans le droit chemin. Le spectateur ne sait pas encore qui croire, si ce Lucas est bien honnête ou pas, jusqu’à ce que l’ancien prisonnier rentre dans une banque. Et c’est là que déboule François Pignon et qui demande la remise des fonds. Il est fébrile, il est maladroit, rien ne va. Et quand les flics arrivent, c’est avec Lucas qu’il part, pris en otage. Mais pour les hommes en bleus, c’est le taulard qui a fait le coup. Tous deux se retrouvent donc ensemble, emportés par les évènements.


La rencontre est difficile, la suite n’est pas sans prises de distance, mais, comme on pouvait s’y attendre, malgré les grognements de Lucas, malgré les supplications de Pignon, ces deux individus que rien ou presque ne devrait rapprocher trouveront ensemble une justification pour s’aider l’un et l’autre. Le climat est parfois électrique, mais il rassure. Le film évoque l’entraide, que ce soit entre ses deux personnages, mais aussi de la part de personnages secondaires, tels ce vétérinaire, ce marchand ou ce petit vieux dans le parc.


Ceux qui tenteront de leur mettre des bâtons dans la roue représentent les deux facettes de la société, l’ordre et la délinquance. Cette dernière sera vite expédiée quand Lucas viendra régler les comptes en personne, mais l’ordre est public, incarné par les forces de l’ordre et l’assistance sociale. Ses représentants ne sont pas complètement sourd aux désirs de l’un ou de l’autre, mais ils feront malgré tout leur travail, consciencieusement.


Il y a un certain abattement face à cette France un peu vétuste, peu à l’écoute. Tourné à Bordeaux et à Meaux, guère mises en valeur, les rues sont tristes, les façades un peu noircies par la circulation, les petits commerces manquent de vie, et quand ils en ont, c’est parce qu’il s’agit d’un bar repaire de petites fripouilles. C’est le décor périphérique des villes, des quartiers résidentiels avec quelques commerces, mais sans grand charme. Pour se protéger, Lucas et Pignon devront aussi s’en sauver.


Le film ne ménage pas son duo clé, incarné par deux acteurs à l’aise dans leurs rôles. Gérard Depardieu est une force, sa détermination comme un roc, pressé de reprendre une nouvelle vie, mais contaminé par l’affection pour Pignon et surtout sa fille. Celui-ci sera blessé dès le début, il sera aussi mal compris, toujours accusé à cause de son passé. Quant à Pierre Richard, il reprend son personnage lunaire et burlesque, mais ici mû par le désespoir, celui de perdre la garde de sa fille après avoir perdu son emploi et sa femme. Un homme prêt à tout, quitte à se mettre toute la société à dos, quand Lucas veut s’intégrer dans celle-ci.


Le film est souvent très drôle, quand il taquine son duo, voire le bouscule et s’en moque. Les scènes avec le vétérinaire joué par Jean Carmet (nominé aux Césars pour ce rôle, chapeau) sont hilarantes, le personnage est à côté de la réalité, face à un Gérard Depardieu qu’il voit comme un animal (ce qu’il est bien entendu). La dynamique entre l’homme fort et le maladroit a beau être connue, Weber la reprend et joue dessus, avec le risque aussi de lasser en l’absence de surprise.


D’ailleurs le scénario fait appel au cœur, non seulement pour lier ses deux personnages mais aussi pour amadouer ses spectateurs. Cet appel à la tendresse, il le fait grâce au personnage de la petite fille, toujours au cœur des préoccupations de Pignon puis Lucas. Jouée par Anaïs Bret, elle est mutique, traumatisée par la perte de sa mère. Une belle poupée qu’il faut prendre en pitié, un procédé parfois un peu trop forcé pour remporter l’adhésion sentimentale.


L’impression générale est bien celle d’un essoufflement de la formule, concluant une trilogie de titres bien trop rapprochés dans le temps ou dans ses personnages repris et usés. Mais cette légère lassitude reste remarquable, bien des films aimeraient atteindre un tel niveau. Les Fugitifs font rire, offrant ce divertissement familial et bien rythmé qui en fait un des chouchous des rediffusions télévisuelles.

SimplySmackkk
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le 29 août 2021

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