(Spoiler review)


Maintes fois chaudement recommandé, s'étant vu attribuer une note de 9 ou 10 de la part de tous mes éclaireurs, mentionné par l'excellente chaine YT Cinefix comme le meilleur film de science-fiction de tous les temps et par d'autres médias comme l'un des tous meilleurs films de ce début de XXIème siècle, c'est peu dire que je me lançai dans Children of Men d'Alfonso Cuaron avec de certaines attentes.


Ont-elles été comblées ? Hmmm, hélas pas tellement, ce qui ne veut pas dire que je n'ai pas apprécié le visionnage, loin de là.


Mais reprenons dès le début. Le pitch, adapté d'un roman de PD James (!), est bien connu : pour des raisons inconnues - et jamais expliquées de tout le film, ce que je trouve bien vu - la Terre est devenue stérile, la crise démographique qui en a découlé ayant engendré d'autres crises, souvent violentes. Comment sait-on tout cela ? Pas par un texte d'introduction, mais par la scène d'ouverture du film elle-même, qui pourtant ne dépasse pas les deux minutes.


Logos sans fond musical, puis voix-off des médias (on reconnait les films marquants au nombre de clichés qu'ils engendrent, et en voilà un beau) et gros plan sur un groupe de gens figés devant la télé d'un café, qui nous apprend que l'homme le plus jeune de la Terre vient de passer de vie à trépas. Un homme, Clive Owen, a l'air de s'en foutre pas mal. Il se fraie chemin dans la foule tétanisée, prend un café, qu'il arrose de gnôle, et s'engage dans Picadilly. Le café explose, une seule survivante en sort, le bras arraché. Titre.


Ça décoiffe, non ? Une des meilleures entrées en matière que j'ai vue depuis pas mal de temps. Job réussi, je suis déjà scotché. Si le reste du film est du même calibre, il y a de fortes chances que ce soit bel et bien le chef-d'œuvre promis.


Et effectivement, tout le reste du film est comme ça. Attention, je dis bien "comme ça", pas "du même calibre". Mon plus gros problème avec Children of Men est ce qui pour beaucoup constitue apparemment sa force : Cuaron ne se renouvelle pas. Ah ça c'est sûr, le film est d'une constance remarquable. Malheureusement, j'ai bien vite compris que les long-takes et la photographie gris-bleue d'Emmanuel Lubezki étaient partis pour durer tout le long de ses 100 minutes. Alors certes, ça a de la gueule, techniquement rien à redire. Le souci, en tout cas pour moi, c'est que le résultat est froid. Très froid. Trop froid.


Du coup, impossible de m'investir autant que j'aurais voulu dans l'histoire. Deux exemples particulièrement frappants, et agaçants : la scène durant laquelle Theo s'isole pour pleurer la mort de son ex-femme Julianne, et une autre similaire, mais plus fugace, vers la fin du film, où une femme lamente la mort de son fils tué dans les combats de rue, image inspirée par une photo prise dans les ruines de Sarajevo. Dans les deux cas nous devrions ressentir de la peine et de la pitié pour ces deux personnages – et croyez-moi, je ne manque pas d'empathie, comme l'attestent notamment mes larmes du début à la fin du Tombeau des Lucioles . Mais là, rien à faire, il y a beaucoup trop de distance entre les émotions des personnages et les miens, simplement parce que le style de Cuaron ne permet jamais de joindre les miennes aux leurs.


La caméra portée et les travelings de Cuaron ne sont pas les seuls à blâmer : je l'ai vu plusieurs fois décrié sur ce site, mais je trouve que son compatriote Inarritu s'en est beaucoup mieux sorti sur Birdman alors même qu'il maintenant l'illusion du one-take durant toute la longueur de son film, ce que Cuaron ne s'embarrasse pas à faire. Mais comme dans Gravity, je pense que Cuaron s'est enfermé lui-même dans son obsession de la fluidité, là où Inarritu laissait plus de place à ses acteurs sans pour autant casser le rythme.


Non, il n'y a pas que cela : Birdman avait également le luxe d'un Michael Keaton taillé pour un rôle presque de composition. Clive Owen, qui joue Theo, porte Children of Men sur ses épaules, la narration ne passant jamais vers le moindre autre personnage (là où dans Birdman, encore une fois, Keaton pouvait souffler pour laisser quelques instants la place aux excellents Edward Norton et Emma Stone). Or… désolé, mais je n'accroche pas à Owen, il est beaucoup trop monolithique pour que je puisse être totalement avec lui 100 minutes durant. Idem, sa mort (probable) à la toute fin du film m'a laissé froid. Clare Hope-Ashitey, Chiwetel Ejiofor et Julianne Moore font ce qu'ils peuvent, mais le script ne leur laisse pas grand-chose.


Parlons-en, du script : je n'ai pas lu le roman dont il est inspiré, mais quelqu'un peut-il m'expliquer ce qu'il a de génial et/ou de visionnaire ? La stérilité soudaine de l'humanité est un excellent point de départ, avec tous les extrémismes qu'elle engendre, mais le scénario ne va pas beaucoup plus loin ! Plutôt que de se concentrer sur la quête d'un homme pour protéger le premier bébé de la Terre depuis presque 20 ans, pourquoi ne pas se concentrer sur les questions idéologiques que cette absence de futur engendre, et de là découvrir les ressentis de tel ou tel personnage affilié à telle ou telle idéologie, ou en marge de celles-ci comme Theo ?


Cela n'aurait pas été si terrible si Theo avait une évolution originale, mais tout cela est cousu de fil blanc : le "héros réticent" qui accepte d'aider la "demoiselle en détresse" en souvenir de son propre enfant disparu puis de la destruction de son propre monde, on a déjà vu cela mille fois ! Vraiment, avec un pitch comme celui-là, je pense qu'il y avait vraiment beaucoup mieux à faire. Cuaron est talentueux mais c'est un homme qui s'accroche à une seule idée par film. Au moins évite-t-il les dialogues ampoulés des frères Nolan, mais je ne peux m'empêcher de penser qu'un Ridley Scott ou même un M. Night Shyamalan aurait ajouté un peu de piquant à tout cela. La scène des soldats arrêtant de tirer est souvent citée comme un grand moment du cinéma moderne, mais je n'y vois qu'un cliché vide de toute profondeur. Et le bateau qui s'appelle "Tomorrow", de qui se moque-t-on ?


Tout n'est pas à jeter, loin de là : elle a beau montré ses limites lors de moments plus intimes, la technique de réalisation de Cuaron brille de mille feux lors des séquences d'action. L'attaque de la voiture est un véritable choc sensoriel, mais en ce qui me concerne c'est surtout l'évasion de la ferme qui m'a scotché. La profondeur croissante de l'écran, alors que la voiture descend de la colline vers la forêt, renforce le sentiment de danger et de tension alors même que les poursuivants paraissent plus loin : le résultat est tout simplement bluffant. Et comment ne pas mentionner toute la séquence de l'insurrection, tournée en un long-take dans un décor incroyable de réalisme, suffisamment large pour accueillir des chars et une véritable armée ? Je parlais d'investissement émotionnel tantôt, mais il est impossible de ne pas être scotché bouche ouverte devant son écran, face à tant d'expertise technique et d'audace.


Vraiment dommage que le script ne soit pas à l'avenant… mais de toute évidence la majorité des gens ne sont pas aussi imperméables que moi, aussi recommanderai-je chaudement le visionnage de ce film dont les aspects techniques et la beauté plastique suffisent à eux seuls le déplacement. Et si vous y avez trouvé les marques du chef d'œuvre que je n'ai pas vu, je me ferai un plaisir de lire vos commentaires !


Oh tiens, puisque je veux finir sur une autre note positive : Michael Caine et Peter Mullan apportent un peu de couleur à l'écran dès qu'ils apparaissent ! Mais qui est-ce que ça surprend ?

Szalinowski
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le 15 janv. 2019

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