Une banale visite touristique, voilà comment débute le film : dans la légèreté. Violon swing qui rappelle le début de Milou en mai, check de tout ce qu'il faut emporter. Kim se retrouve en Bosnie et agit comme n'importe quelle touriste. Elle croise des autochtones qui n'ont que le mot "kangourou" à la bouche dès qu'elle annonce qu'elle vient d'Australie. Est curieuse de tout : d'un homme qui danse dans la rue avec un corps "liquide", des bibelots exotiques, des ruelles qu'elle traverse. Attirée par un roman, elle va joindre Visegrad, célèbre pour son pont. Selfie et photo avec retardateur joyeux sur le pont magnifique, qui fait la renommée de la ville et dont on apprendra plus tard qu'il fut abreuvé de sang. La touriste de base on vous dit. Elle assiste à des fêtes, le soir à un concert, se fait draguer comme n'importe quelle femme seule - cet épisode annonce avec légèreté le sentiment d'oppression qui va suivre. Puis rentre à son hôtel.


Et là, quelque chose cloche. Pas moyen de dormir. C'est tout pour ce premier voyage.


Mais un malaise persiste en Kim, qui, de retour à Sidney, va chercher à en savoir plus : des recherches sur Internet lui apprennent que cet hôtel a servi de "camp de viol", où plus de 200 femmes auraient subi des sévices. Dès lors, Kim n'aura qu'une obsession : y retourner, en savoir plus. Pour comprendre comment tout cela peut être tu, occulté. L'Américain qui a rédigé le guide de voyage lui donne la clé : uniquement pour ne pas faire fuir les touristes qui, sinon, ne viendrait plus à Visegrad ! Un argument économique qui peut se défendre, mais pas pour Kim, qui ressent dans son corps la violence faite à ces femmes.


Elle y retourne donc et parcourt le village en tout sens dans sa robe rouge sang, avec sa caméra. C'est à présent l'hiver, les paysages riants ont fait place au sordide. Les hommes sont menaçants, que ce soit les regards qu'on jette sur elle dans la rue, un homme croisé à l'église qui la retrouve au restaurant, un autre qui lui propose de la prendre en photo sur le pont et lui demande de reculer, encore reculer, une voiture de flics qui la suit. Une angoisse diffuse, distillée avec subtilité. Je m'attendais même à ce que ça finisse mal pour elle.


Mais non, et c'est plutôt bien vu de la part de Jasmila Zbanic : après un passage au poste plein de tensions avec les flics, Kim retourne à l'hôtel des sévices, depuis transformé en centre de remise en forme (!), y loue une chambre. Et se contente de déposer sur le lit une fleur par victime. Un devoir de mémoire sobre et fort.


Un film modeste (ce n'est pas du grand cinéma, rien de particulier dans la forme) mais attachant par sa simplicité et son authenticité.

Jduvi
7
Écrit par

Créée

le 28 mars 2020

Critique lue 212 fois

2 j'aime

Jduvi

Écrit par

Critique lue 212 fois

2

D'autres avis sur Les Femmes de Visegrad

Les Femmes de Visegrad
denizor
7

Contre l'oubli

Cela commence comme dans un film de Woody Allen, au son d’une petite musique swing : Kym Vercoe, une Australienne de Sydney, décide d’aller visiter la Bosnie-Herzegovine. Une sorte de « Another...

le 10 mai 2014

1 j'aime

Du même critique

R.M.N.
Jduvi
8

La bête humaine

[Critique à lire après avoir vu le film]Il paraît qu’un titre abscons peut être un handicap pour le succès d’un film ? J’avais, pour ma part, suffisamment apprécié les derniers films de Cristian...

le 6 oct. 2023

21 j'aime

5

Gloria Mundi
Jduvi
6

Un film ou un tract ?

Les Belges ont les frères Dardenne, les veinards. Les Anglais ont Ken Loach, c'est un peu moins bien. Nous, nous avons Robert Guédiguian, c'est encore un peu moins bien. Les deux derniers ont bien...

le 4 déc. 2019

16 j'aime

10

Le mal n'existe pas
Jduvi
7

Les maladroits

Voilà un film déconcertant. L'argument : un père et sa fille vivent au milieu des bois. Takumi est une sorte d'homme à tout faire pour ce village d'une contrée reculée. Hana est à l'école primaire,...

le 17 janv. 2024

15 j'aime

3