Considéré comme l’un des plus grands films de l’histoire chez nos amis Américains, Les Évades jouit globalement d’une solide réputation aux quatre coins du globe. Un film culte qui rejoint Forrest Gump, La Ligne Verte ou encore Will Hunting au panthéon des années 1990 où ces films « aux bons sentiments » très américains ont marqué durablement le grand public. Ainsi, s’il faut s’attendre à des tonnes de beaux discours sur la vie accompagnés de violons et de séquences un peu tire-larme, force est de constater que l’ensemble fonctionne à merveille malgré une foultitude de clichés parfois grossiers et dommageables. Et même si je n’ai pas pu fermer les yeux sur les défauts bien réels des Évades, j’en tire finalement une belle histoire le plus souvent passionnante.


Andy Dufresne (l’excellent Tim Robins) est accusé du meurtre de sa femme et de son amant. Envoyé pour « deux vies » à la prison de Shawshank, il y fait la rencontre de nombreux personnages, et notamment Red (Morgan Freeman, fidèle à lui-même) avec qui il tisse un fort lien d’amitié. Pendant des années, Andy œuvrera pour la communauté pour peut-être y trouver la rédemption.
Raconter le récit via une voix off, celle de Red, est un choix intelligent en tant qu’il place ce personnage du même côté que le spectateur, qui découvre en même temps que lui le personnage d’Andy et l’observe au fil de son évolution, sans jamais vraiment connaître ses motivations ou ses opinions. En ce sens, Andy, pourtant le protagoniste de l’histoire, apparaît toujours distant et énigmatique ; et au regard de la fin du film, cet angle de narration est d’autant plus pertinent qu’il crée un sentiment de surprise chez le spectateur à la hauteur de celle de Red et des autres. Le procédé de la voix off est donc, pour une fois, utilisé avec une grande maîtrise.


L’ambiance de l’univers carcéral est traité de manière intéressante, et on se prend de sympathie pour ces types censés être des malfrats (mais qui sont pour nous, comme le film le répète à maintes reprises, « tous innocents »). Frank Darabont développe suffisamment les petites scènes du quotidien pour nous embarquer avec eux derrière les barreaux, et donner par leur amitié une chaleur aux murs froids de la prison. Cependant, la première demi-heure déploie des clichés à tout-va qui ont de quoi inquiéter, et qui heureusement s’atténuent par la suite et s’acceptent plus facilement au fur et à mesure que les personnages gagnent en profondeur.


Mais tout de même, entre clichés et manichéismes, il y a de quoi faire :
- le garde de prison sadique et vraiment, vraiment « méchant », incapable de formuler une phrase sans insulte (on lui apprend la mort de son frère, et sa seule réaction est « He was an asshole »…)
- le directeur corrompu qui ne jure que par la bible, lui donnant un air un peu spirituel/satanique alors qu’on ne connaît même pas les motivations qui le poussent à agir de la sorte
- le pervers des douches et son gang de petites frappes qui victimisent tout le monde
- l’obèse un peu benêt qui pleure sa maman
- le meurtrier psychopathe, et son rire démoniaque pendant qu’il raconte ses meurtres
- Red, le type populaire qui a des contacts, qui est donc le taulard le plus utile de toute la prison et qui a évidemment un cœur en or et une mentalité géniale (d’ailleurs, sa capacité à faire entrer n’importe quoi dans la prison relève clairement de la magie)
- Andy, le héros victime d’une injustice (même si le doute planant sur son innocence pendant une bonne partie du film le rend mystérieux)


Red dit lui-même que la prison n’est pas un conte de fées, mais finalement tout finit par trouver justice (le harceleur se fait corriger et finit en légume, Andy est accepté parmi les prisonniers et se fait plein de bons amis, puis il parvient à s’évader, Red est libéré, …). Et puis Andy a quand même de la chance, tous ses projets sont menés à bien sans réelle difficulté, il grimpe les échelons, dispose d'à peu près tout ce dont il a besoin, etc.


Pourtant, après un tableau noirci par les facilités, Les Évades propose des scènes marquantes, sublimées par une bande-son magnifique, qui font que l’on s’attache malgré tout à la plupart des personnages et que le récit se laisse suivre avec engouement.


« Ces murs sont bizarres. D’abord on les hait. Après, on s’y fait. Et avec le temps, on en a besoin ».


Cette phrase a une résonance très particulière, car elle s’applique aux personnages comme au film lui-même, où l’on découvre d’abord un monde de haine et de violence (et de clichés…), avant de se prendre d’affection pour les personnages comme pour le film dont on accepte même les facettes les moins reluisantes. Nous aussi on s’habitue, petit à petit, jusqu’à ressentir le besoin de préserver ce quotidien difficile mais familier, et paradoxalement chaleureux, où le départ d’un camarade à qui l’on rend sa liberté fait autant plaisir qu'il crée un vide non résorbable. Peut-être Les Évades est-il fait ainsi : un chef-d’œuvre réussi par ses imperfections, par son enrobage parfois grossier mais sympathique qui donne un côté très humain à l’ensemble, et auquel on s’attache fatalement.


Jouissant d’un rythme quasi-parfait (à l’exception de son début de deuxième partie et l’arrivée de Jimmy, ouvrant un arc narratif peu passionnant bien que nécessaire), d’acteurs impliqués et charismatiques, d’une réalisation assez neutre mais efficace, le film pèche peut-être encore dans le traitement de ses personnages sur le long-terme. Plusieurs d’entre eux que l’on croyait s’être extirpés de leur caricature (le directeur et le gardien, qui se montrent plus humains et amicaux que prévu, les années passant), y replongent la tête la première dans le dernier acte et ternissent de manichéisme un final pourtant grandiose. C’est dommage.


Pour autant, Les Évades est un excellent film qui n’a pas volé sa réputation ni son statut. S’il faut être honnête sur le tableau critique que l’on dresse, en pointant du doigts ses nombreux défauts, la générosité et l’enthousiasme global triomphent finalement pour ne laisser que de belles images en tête. Une aventure qui prend le spectateur pour témoin et complice, l’insérant dans l’intimité d’un quotidien difficile mais où il est toujours possible de trouver le salut, avec pour force principale sa narration imprévisible et ses retournements de situations appréciables. Les bons sentiments ne sont pas en reste, parfois un peu faciles, mais fonctionnent malgré tout sans tomber dans le discours moralisateur.


Un film à qui il faut laisser ses imperfections, comme un oiseau dont plusieurs plumes dépasseraient mais sans lesquelles il n'aurait plus rien de remarquable. Celui-ci, ses plumes sont peut-être trop brillantes pour nous, tout simplement.



« I have to remind myself that some birds aren't meant to be caged. Their feathers are just too bright. And when they fly away, the part of you that knows it was a sin to lock them up, does rejoice. »


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le 3 févr. 2018

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Jules

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