Le premier épisode de cette série m'avait d'autant plus scotché que je n'en attendais pas forcément grand chose. Depuis, j'ai suivi chacun des film jusqu'à ce Dossier 64, quatrième et dernier.
D'emblée, l'ambiance glauque est affichée. En 1961, une jeune femme va rejoindre son amant (qui est accessoirement son cousin) sur la plage. Ils font l'amour. On sait qu'elle est enceinte. Puis le père de mademoiselle arrive et la ramène brutalement à la maison. Une belle façon de briser ce qui commençait comme un stéréotype usagé de la scène romantique.
De nos jours, des ouvriers travaillant dans un appartement détruisent une cloison et trouvent, dans la pièce cachée derrière, trois cadavres momifiés.


Ce Dossier 64 est annoncé comme le dernier de la série d’adaptations des romans du Danois Jussi Adler-Olsen, et pour bien enfoncer le clou, dès le début, on apprend qu’Assad, un des deux enquêteurs de la série, a demandé sa mutation. Du coup, l’ambiance, dans l’équipe, s’est fortement dégradée : déçu de perdre quelqu’un qui est sûrement plus qu’un collègue, Carl se renferme sur lui et laisse parler son aigreur. « Carl cherche la bagarre pour que la séparation soit plus facile », dira un des personnages.
Mais si l’ambiance au sein de l’équipe n’est pas au beau fixe, l’enquête qui s’ouvre va les souder à nouveau. Une enquête qui s’ouvre de façon glauque, avec la découverte de trois cadavres momifiés et mutilés.


C’est là que l’écriture du film montre son intelligence. Des flash-backs réguliers nous emmènent en 1961 et éclairent une partie de l’histoire. Une jeune femme, Nete, amoureuse de son cousin Tage (et qui attend un enfant de lui, d’ailleurs), est envoyé dans « une maison pour femmes dépravées » sur l’île de Sprogø.


L’alternance passé-présent, assez classique dans ce type de récit policier, n’alourdit ni ne ralentit le rythme, mais amène le spectateur vers ce qui est visiblement le véritable sujet du film : le traitement réservé aux femmes dans un pays qui se dit progressiste. Le constat sombre est hélas toujours d’actualité : la liberté des femmes à disposer de leur corps n’est pas une évidence pour tout le monde, et constitue même encore de nos jours un sujet de débats. Avortements forcés, mesures de « redressement moral » pour des jeunes femmes dont le seul crime est d’avoir fait l’amour (à moins que le crime réside dans l’appartenance sociale de ces victimes…), le film, derrière son aspect divertissant, sait affronter directement des sujets difficiles.
On peut même sentir, dans Dossier 64, une volonté de mettre en garde contre un certain discours qui affirme que ces mesures sont prises dans un but social, « pour préserver l’État-Providence ». Bien souvent, les pires actions se dissimulent derrière des affirmations qui se prétendent pour le bien général.


Sur le plan purement policier, la construction du film est remarquable. La première partie est plutôt consacrée à l’énigme que constituent ces trois cadavres tués douze ans plus tôt. L’enquête part alors dans deux directions : la recherche d’un suspect tout désigné, et la découverte progressive de l’étendu des crimes qui se sont produits à Sprogø. L’affaire va d’ailleurs toucher directement Assad, ce qui fera augmenter la tension dramatique du film.
L’intelligence du scénario est ne pas étirer cette enquête plus qu’il ne le faut : le mystère s’éclaircit, on comprend vers le milieu du film quels sont les enjeux réels de ces meurtres. Cela permet à l’action de progresser en maintenant un rythme et une tension permanente. Dossier 64 passe alors du mystère à l’action. Le résultat reste prenant jusqu’au bout.
L’autre grande réussite du film réside dans le bouquet d’émotions qu’il nous permet d’éprouver : Dossier 64 flirte avec l’horreur, l’angoisse, la révolte, le drame, et même l’humour, essentiellement à travers les dialogues entre Assad et Carl.
L’ensemble fonctionne très bien. Les quatre films des Enquêtes du Département V constituent une très bonne série de films policiers, très homogène dans l’ambiance et la qualité. On peut regretter que ce film soit, visiblement, le dernier de la série, mais on peut également se réjouir de voir une série finir sans baisse de qualité.


Article original sur LeMagDuCiné

SanFelice
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le 6 mars 2019

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