Il y a d’abord cette belle affiche, baignée des couleurs chaleureuses de la bougie, qui reflète une des plus fortes scènes du film. Au centre, Camille Cottin a les yeux fermés, elle est apaisée, son corps est présent, son esprit semble ailleurs. L’actrice joue Christine Lourmel, la mère de famille, dont l’évolution physique et psychologique est marquante. Sa colère, ses mauvais sentiments seront relégués au plus loin de son esprit, pour offrir au monde ce résultat final, ce masque aux yeux vides, une figure en paix mais qui semble avoir été lavée de son individualité.


Une prestation marquante de l’actrice, qui fait froid aux yeux, illustration physique et en chair de ce que peut créer l’endoctrinement religieux ou sectaire.


Mais si Camille Cottin est au centre de l’affiche, si elle a le privilège de la première mention de responsabilité dans le générique, ce n’est pas elle qui guide le spectateur. C’est Céleste Brunnquell qui prend le corps de Camille Lourmel, une jeune adolescente, prise dans le tourbillon des contradictions de sa nouvelle vie et du monde extérieur, mais aussi dans sa construction individuelle.


L’histoire de la famille Lourmel, c’est celle de tant d’autres, d’un cercle familial soudé mais déstabilisé par la société actuelle, que les adultes peinent à intégrer. La mère est au chômage, le père est un instituteur en banlieue. L’intégration à une communauté religieuse va se faire progressivement, ils vont trouver un épanouissement avec elle. Ils y découvrent la fraternité, une joie bienheureuse, l’écoute de chacun, avec cette double nature, ils se sentent importants à titre personnel, mais s’effacent dans le groupe.


Cette communauté n’est pas coupée de la société extérieure. Les enfants continuent à être scolarisés, c’est une obligation légale. Mais tous doivent se plier à de nouvelles règles, instaurées au nom de Jésus, dictées par le Berger. Le chef de troupeau est joué par Jean-Pierre Darroussin avec une subtilité folle, doux et bienveillant, il se fait obéir avec le sourire, en paix.


Le regard étant sur Camille, l’endoctrinement des parents ne livre pas toutes ses explications, il se fait par quelques scènes, quelques dialogues. Il se découvre progressivement, plus facilement auprès du spectateur que de Camille, qui peine à se rendre compte de l’absurdité de certaines situations, de certaines conséquences néfastes prises dans cette communauté. Le regard extérieur, celui de ses copines, celui de son premier amour, va d’abord rebondir sur ce qu’elle protège sans le savoir. Car depuis des années certaines règles, certains interdits vont de soi quand tous les appliquent, quand tout le monde tient le même discours.


Le film est un peu trop discret sur ce qui amène ces parents à s’enraciner dans un tel mode de vie, mais il n’est peut-être pas si facile de décrire ou d’expliquer ce qui amène à un tel endoctrinement, peu importe qu’il soit au nom de l’amour (de Dieu, de ses prochains, ou du Berger). C’est sur Camille que repose le gros du film, dans une fiche de profil assez bien remplie, en tant qu’adolescente qui se cherche dans sa personnalité et son avenir, qui se découvre sentimentalement et corporellement, liée à sa famille et à sa communauté, mais dont elle prendra parfois un peu de distance, pour elle. Ce qui ne sera jamais sans conséquences.


Cela fait tout de même beaucoup pour un simple personnage, et si tout est bien sûr lié, ses développements personnels, plus classiques, seront moins puissants que tout ce qui a trait à cette famille embrigadée dans le sourire et dans la joie bienheureuse de cette communauté. La jeune Céleste Brunnquell dont c’est le premier rôle, est à la fois brute et maladroite, mais ses faiblesses font peut-être aussi le jeu de ce personnage aux contradictions tumultueuses, à la fois disciplinée et sauvage. Le développement de son caractère se fait progressivement, tout au long du film, même si la conclusion lui en demande trop, dans un plan face caméra qui rappelle qu’il s’agit de cinéma et de composition, quand le tout se fondait assez bien auparavant, se faisait oublier.


C’est d’ailleurs l’un des atouts du film de Sarah Suco, qui, en dehors de cette conclusion, n’abusera pas des larmes et des violons, mais préféra instaurer un ton à la fois chaleureux, il y a de la vie, de la joie, mais aussi malaisant, dans ses règles, vis à vis aussi des obstacles que va rencontrer Camille. Un ton tout en nuances, où le rire est parfois jaune, dans les affirmations des uns et des autres, où le pire et le ridicule se font au nom de Jésus. Ces dialogues sont prononcés par d’excellents acteurs, déjà cités, mais il y en a d’autres, dans une mise en scène qui se veut authentique mais sans faire documentaire. Il y a une chaleur tout à fait cinématographique dans les prières et les transes collectives, dans les réunions de groupe, qui mène parfois à un emballement contagieux, crédible mais romancé. Les décors intérieurs expriment cette attention, que ce soit auprès de certaines personnes extérieures, filmées dans ce qui pourrait être leur habitat naturel, sans artifices cinématographiques, et bien sur le lieu de vie de cette institution. Avec ses nombreuses boiseries, ses nombreuses vitres, il y a une chaleur qui se dégage, une authenticité qui faciliterait ce « vivre-ensemble », mais qui dévoilera aussi des murs plus secrets.


Dans son excellent court-métrage Nos Enfants, disponible sur l’édition physique du film, Sarah Suco se révélait déjà glaçante. Avec son premier métrage, elle dissimule ce malaise derrière une chaleur de surface, où tout le monde semble heureux d’être là, sans gourou maléfique, sans idiots facilement endoctrinables. Le ton se fait en nuances et avec pudeur, accusateur mais avec le jugement rendu difficile, ces adultes ont fait le choix d’être là. L’émotion est là, bienheureuse ou difficile, sans se révéler surexploitée, à part cette fin qui cherche à la provoquer. Sarah Suco peut d’autant plus évoquer un tel sujet que ce film est inspiré de sa propre existence, elle a passé dix ans de sa vie dans une communauté charismatique. Certains des aspects qui pourraient sembler trop « chiqués », trop « cinéma » sont pourtant inspirés de son expérience, comme les fidèles qui bêlent avant que le Berger n’arrive. Le résultat est une belle réussite, le film est personnel mais aussi sociétal, sans jamais oublier qu’il n’est une fiction. Mais Les Éblouis, magnifique titre, est aussi un film tellement dense mais aussi pudique que certains éclairages appuyés notamment sur le personnage de Camille auraient pu se faire au bénéfice d’autres aspects.

SimplySmackkk
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le 5 août 2022

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