The Ten Commandments (Cecil B. de Mille, U.S.A, 1923, 2h16)

Quand on évoque ‘’The Ten Commandments’’ de Cecil B. de Mille, tout de suite ce qui vient en tête c’est Charlton Heston avec une grande barbe et un grand bâton, Gandalf style. Pourtant il existe une autre version, sortie 33 ans plus tôt (un chiffre biblique à lui seul), moins orthodoxe que la version de 1956 par un cinéaste vieillissant dont ce fût la dernière œuvre. Et comme l’autorisait les folles innovations des années 1920.


Tout débute par un message qui annonce le spectacle à venir, et le remet dans son contexte. Il est ainsi fait mention des dégâts de la Première Guerre mondiale, qui prit fin à peine cinq ans plus tôt, à une époque où l’Histoire et les informations avancent beaucoup moins vite. Les nations vivent ainsi dans les lendemains de ce conflit meurtrier. En particulier en Allemagne, avec la conséquence que cela aura.


Le métrage se présente rapidement comme un moratoire bienpensant, élaboré dans l’idée d’apporter la paix et l’amour dans le cœur de ses spectateurices. Un long prologue de cinquante minutes ouvre le récit, couvrant l’Exode du chapitre 1 versets 13-14, jusqu’au chapitre 32 verset 28. En se focalisant principalement sur la fuite des Hébreux d’Égypte, et la remise des Tables de la Loi à Moïse par Dieu, sur le mont Sinaï.


Lors de l’absence de Moïse, qui dura quarante jour et quarante nuit, livré à lui-même au pied de la montagne, le peuple s’effondra dans la décadence. Par un besoin de croire, ils forcent Aaron, le propre frère de Moïse, de construire un veau en or, qu’ils aient quelque chose à vénérer à défaut d’un Dieu absent. Autant dire que lorsque Moïse redescend de son trip montagnard, il n’est pas très content. Au point d’en briser les tables de la loi.


Il remet ensuite tout le monde dans le droit chemin, rappelant que les idoles c’est pas bien, et qu’il n’y a qu’un seul Dieu. Puis le récit se place dans l‘Amérique de 1923, au cœur d’une famille composée d’une mère et de ses deux fils. Un grand écart pharamineux, pour suivre les destins croisés de John, un honnête charpentier, pieux et modeste, et Dan, un promoteur athée, magouilleur et menteur, qui se fiche des Commandements, que sa mère s’évertue à lui inculquer.


Dan, devenu un magnat de la construction, pousse le vice en entreprenant la construction d’une grande église. Uniquement pour se faire de la maille. Par soucis d’économie, pour le rendement, il utilise des matériaux de mauvaises qualités. Provoquant la chute de l’édifice, sur sa mère. Toutes les actions de Dan provoque ainsi une expression du tragique. Coupable de la mort de sa propre mère, il convoite également la femme de son frère, il vole, il tue, et ne respecte pas les volontés du Seigneur.


Le nom même de son bateau, ‘’Defiance’’ indique quel genre de personne il est. Évoluant dans un univers hyper manichéen, au point d’en devenir indigeste, l’opposition proposée par Cecil B. de Mille entre John le bon garçon et Dan le mauvais bougre, est cousue de fil blanc. Même pour un film de 1923 c’est tout à fait extrême.
John est la traduction moderne de Moïse, quand Dan est lui l’équivalent de Pharaon. Un homme fier, attiré par l’éclat de l’or, dont l’Ubris dépasse largement la morale, obnubilé par sa propre richesse et son propre pouvoir. Le parallèle s’avère parfois un peu pipé, à mesure que Dan ne prend que des décisions qui vont forcément à l’encontre des enseignements de la Bible. Et comme Pharaon, qui par orgueil s’est rendu coupable des sept plaies ayant frappées l’Égypte, Dan d’éclanche les rouages de la tragédie.


Le film se fait directement l’échos du début des années 1920, et plus généralement les ‘’Roaring Twenties’’ comme il est commun de nommer cette décennie. Les mœurs de la société y étaient alors des plus légers, une insouciance ambiante qui ne fût pas sans agacer les plus puritains. Hollywood fût d’ailleurs particulièrement sujet à critiques, réputé pour sa débauche dressée en art de vivre par ses stars décadentes.


Cecil B. de Mille lui-même fût accusé de véhiculer l’immoralité par ses petites comédies de mœurs. Il se reprendra en devenant un cinéaste associé à l’Épique Biblique, avec des œuvres plus éthiques, venant rappeler les bases chrétiennes de la nation américaine, s’inscrivant en opposition avec la décadence ambiante de la capitale du cinéma. Moins d’une décennie avant le Code Hayes, duquel de Mille sera un ardant défenseur.


Dressant un parallèle entre la décrépitude supposée de la société Américaine et le peuple Hébreux livré à lui-même après sa fuite d’Égypte, ‘’The Ten Commandments’’ se présente comme une métaphore simpliste peinant à trouver de la nuance. Au contraire même puisque tout l’arc narratif, incluant le prologue, l’histoire de John et Dan, et la conclusion avec le Christ prêchant dans une étable, n’est qu’une réflexion grossière sur la déliquescence fantasmée de l’Amérique.


Bientôt 100 ans après sa réalisation, il est évident que le film à prit des rides. Mais ce n’est pas tant son âge qui pose problème, car il existe des œuvres de cette période assez modernes. C’est plutôt ses oripeaux d’un conservatisme rigide, mêlé à une vision étroite de la religion, qui en font une œuvre datée. La société moderne, perçue par les yeux de John et de Dan, est élaborée à la lumière des enseignements chrétiens. Ainsi, les actions de chaque personnage ont des répercutions, dans leur vie mais aussi envers celle de leurs proches.


L’œuvre de Dieu régit ainsi l’existence de chacun. Pour les bonheurs, comme pour les malheurs. À l’échelle d’un individu, un comportement comme celui de Dan peut sembler isolé, mais décuplé au nombre d’Américains que compte la société, tout de suite apparait l’idée de péril. Il n’existe pas chez de Mille de libre-arbitre, tout est fatalité. Être rebelle à ‘’La Loi’’ (précisée au début du film), les enseignements de Dieu, c’est risquer de jeter l’eau-probe sur toute une communauté.


Œuvre fascinante, il semble important de la regarder comme un objet d’Histoire, telle une lucarne offerte sur les années 1920, par le prisme d’un cinéaste dévot, qui n’a jamais caché sa foi, pour le christianisme, comme pour le drapeau américain. Puisque les deux sont intimement liés dans l’imaginaire protestant ayant forgé le patriotisme étatsunien.


‘’The Ten Commandments’’ version 1923 ne vaut pas sa version de 1956, également mise en scène par Cecil B. de Mille. Approfondissant beaucoup plus l’Épique et le Biblique du support initial, par le biais d’une métaphore bien plus aboutie et lucide sur une Amérique post-Seconde Guerre mondiale. Cette version des années 1920 apparait presque anecdotique, bien trop ancrée dans son époque avec un schéma de pensé beaucoup trop rigide pour en faire une œuvre universelle. Paradoxalement en contradiction avec les écrits dont elle est inspirée.


-Stork._

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le 24 avr. 2020

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