LES DEMONS, un film bien singulier.


Si l’on peut se laisser envoûter par son angoissante bande annonce, il ne faut surtout pas tomber dans le piège: le cœur du film n’est pas dans la poursuite d’un quelconque suspens, mais dans une certaine identification.
Car le long-métrage de Philippe Lesage, à la manière d’un Virgin Suicides, construit patiemment notre empathie envers ces singuliers émois accompagnant la fin de l’enfance et le début de l’adolescence, en retranscrivant leur puissance par le charme du non-évènement. Émois qui seront ensuite mis en perspective par une menace, aussi indicible que palpable.


Félix, le jeune protagoniste du film, perçoit donc le monde qui l’entoure à travers trois phases qui se répètent et se répercutent entre elles.


L’ATTENTE d’abord.
Autour de Félix, évolue le « monde des grands » indépendamment de sa volonté ou de sa compréhension. L’influence de Félix sur celui-ci, est quasi inexistante – au contraire: ce sont ces « grands » qui interagissent avec lui. Par un regard, une phrase, un geste; chacune de ces attentions semble ainsi décisive pour Félix, celui-ci étant en pleine construction de sa personnalité, de son identité sexuelle. Cette attente se traduit à l’écran par la sensorialité, à travers l’élongation des séquences. Comme dans le récent The Assassin, la caméra de Philippe Lesage attend trèèèèèèèès patiemment qu’un élément vienne bouleverser l’humeur d’un instant, et redéfinisse – du point de vue de Félix – l’autre, ou lui-même.


PHOTO : Félix et les filles


En parallèle, Félix ÉCOUTE, OBSERVE.
Qu’il s’agisse des adultes, dont les relations peuvent paraître évidentes ou à l’inverse indéchiffrables, ou des ados, plus proches de Félix, en age et en logique. Avec les ados, on peut encore communiquer, même s’ils ont leurs préoccupations et leurs propres centres d’intérêt. Ils sont là pour expliquer l’incompréhensible (c’est quoi une fif ? J’ai le Sida ?) et pour servir de modèle même si eux mêmes sont également mal à l’aise vis à vis du monde, ou de leur propre identité sexuelle. Puis, il y a les autres enfants qu’à l’inverse, on n’écoute pas vraiment mais avec qui l’on DOIT traîner, jouer, et éventuellement s’éveiller.
Encore une fois la notion de sensorialité intervient: le vrai dialogue n’existe par exemple, qu’avec les enfants de son age. La caméra se focalise par ailleurs constamment sur Félix, excentrant les autres, toujours trop grands par rapport au cadre. Le dialogue des autres est aussi, perçu comme un « bruit discontinu » plutôt que des mots. Puis, Philippe Lesage inverse cinématographiquement les tonalité des scènes pour représenter la vision de Félix du monde adulte: l’indéchiffrable nous est d’un coté explicite (l’adultère), tandis que l’évident nous est cryptique (la dispute).


Puis Félix DÉCOUVRE.
Il met en pratique ce qu’il à appris des « grands », expérimente, se trompe, souffre… Mais surtout grandit, inexorablement. Il se sert pour y arriver, d’un « plus petit« , lui servant de cobaye et d’objet, et sur lequel il peut asseoir sa propre domination en reproduisant le schéma qu’entretiennent les « grands » avec lui. À ces instants de découverte, la caméra capte en plan séquence et en cadrage désespérément fixe, transmet le malaise inhérent au test des limites. Ces instants un peu plus intenses et dérangeants que les autres ponctuent le film, comme des sommes d’instants issus des deux phases précédentes.



« Les Démons ne vous touchera que si vous parvenez à vous identifier à son protagoniste, notamment à travers cette fantastique sensorialité»



Ces trois phases très importantes pour Félix, ne constituent pas à proprement parler, une histoire. LES DEMONS est un pur film d’auteur, et comme souvent dans ce type d’oeuvre, l »identification n’est pas provoquée par les caractéristiques clés du divertissement (histoire, rythme), mais par ce que possède le spectateur de commun, avec le protagoniste et ce qu’il vit. C’est exactement en cela que j’ai été touché par le film, parce qu’il faisait écho à ma propre découverte de moi-même, de l’autre, de la puissance des premières attirances sexuelles, mais également de tous les dangers et fantasmes qui l’entourent.


C’est d’ailleurs une fois que ce lien unique est scellé et éprouvé entre nous et l’auteur Philippe Lesage, qu’intervient le fameux climax du film – que je ne révélerai pas, sous peine de déflorer la minuscule surprise que constitue cet événement. Un climax, non pas en terme d’intensité mais plutôt de résonance, et de mise en perspective. D’une part, il y a résonance avec notre empathie sensorielle envers Félix; et si l’identification a eu lieu, avec notre vécu de spectateur… Puis d’un point de vue un peu plus cinématographique, ce climax donne un sens à quelques éléments précédemment vus, même s’il ne transforme pas pour autant le récit. Il fait en tout cas naître une certaine angoisse, par ce qu’il dénote avec la relative légèreté du reste du film.


PHOTO : Félix, t'as mal ?


En prenant du recul, je pense qu’il faut avant tout savoir exactement ce qu’on va voir.
Vulgairement, le rythme du film est extrêmement lent, lenteur renforcée par un fort sentiment de répétition entre chaque scène; de nombreuses pistes scénaristiques y sont lancées sans être jamais vraiment développées, énormément de personnages n’ont qu’une scène d’apparition alors que tous semblent plus passionnant que le protagoniste… Qui d’ailleurs est un enfant mutique et un peu con. Bref. Il est très facile de critiquer le film. MAIS, il se peut que, comme moi, quelque chose vous fascine de A à Z, vous bouleverse. Ce quelque chose, cette sensorialité et cette identification, c’est peut-être ce qui fera des DEMONS un film précieux, mais qui n’appartient qu’à vous.


Par Georgeslechameau, pour Le Blog du Cinéma

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le 16 sept. 2016

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