C’est dans le formalisme pur et dur que l’auteur donne sa substance à une œuvre désenchantée qui ne se contente pas de déambuler malgré sa longueur et ses artifices anti-spectaculaires. Chronique esthétisante plus que complaisante de la misère sociale, Les Chiens Errants est aussi l’œuvre d’un cinéaste en colère. A sa manière, âpre et austère, il dénonce l’injustice d’un monde en décrépitude qui se fait fi de l’innocence. Cependant son film aurait gagné à plus de profondeur psychologique et moins d’atermoiements.


Même si les actes sont induits par leur profonde désespérance, que les images se suffisent à elles-mêmes pour décrire le quotidien des rejetés de la société consumériste, la paupérisation, la crise du logement, l’ubérisation, Tsai Ming-Liang dépeint l’implacabilité de cette réalité de manière un peu trop statique. Ou quand la sublimation esthétique demeure le dernier acte désespéré de l’artiste face à l’inacceptable.


Malgré ce regard poseur que certains considéreront comme maniéré et vain, ces longs plans séquences s’attardant sur le cheminement d’une larme sur un visage, il y a dans cette volonté de réminiscence d’un humanisme consumé, le point de vue d’un grand esthète désespéré, l’artiste crachant son dépit sur une toile.


Sans doute trop poseur, déambulatoire au possible et presque éteint par sa manière d’étirer le temps comme la flamme d’une bougie qui danse ses derniers soubresauts avant de nous plonger dans l’obscurité, cette œuvre d’esthète désespéré n’en demeure pas moins une grande et belle proposition de cinéma à la plastique remarquable, et parvient malgré toutes ses entraves, à toucher au but en parvenant à émouvoir et à interroger. N’est-ce pas là l’apanage des œuvres profondes ?

Créée

le 3 janv. 2020

Critique lue 96 fois

1 j'aime

Critique lue 96 fois

1

D'autres avis sur Les Chiens errants

Les Chiens errants
pierreAfeu
10

Sidérant de beauté

Le dernier film de Tsai Ming-liang est inqualifiable. Les chiens errants est un film terrible et beau, noir portrait du monde des hommes, œuvre d'art profonde et mystérieuse qui vit et résonne en...

le 23 nov. 2013

15 j'aime

6

Les Chiens errants
cinematraque
9

Film enragé, radical et pourtant absolument geek !

Le cinéma de Tsai Ming-liang n’est pas forcément le plus joyeux au monde, mais il franchit ici, avec une certaine insolence, les murs du pessimisme. Dans un geste qui semble emprunté a l’ultime...

le 13 mars 2014

13 j'aime

Les Chiens errants
JimAriz
6

Errance maîtrisée

L’œuvre de Tsai Ming-Liang est caractérisée par des films lents aux longues scènes, souvent tournées en plans-séquences et aux dialogues réduits au minimum. Au fil de ses films le réalisateur...

le 15 mars 2014

7 j'aime

1

Du même critique

L'assassin habite au 21
philippequevillart
8

Meurtre oblige

Première incursion de Clouzot dans un genre auquel il donna ses plus belles lettres de noblesse, en l’occurrence le thriller à la Hitchcock. Pour se faire il adopte un style emprunt à la Screwball...

le 21 avr. 2020

18 j'aime

8

Joker
philippequevillart
6

Autant de clown clinquant

C’est auréolé d’une récompense à la Mostra de Venise et d’une pluie de critiques dithyrambiques annonçant un classique instantané et une performance d’acteur de la part de Joaquin Phoenix emprunte...

le 9 oct. 2019

18 j'aime

5

La Chienne
philippequevillart
8

L'ange et la mort

Dans La Chienne, second film parlant de Jean Renoir, c’est surtout quand les voix se taisent et que l’image reprend naturellement ses droits que le lyrisme dramatique s’impose pour offrir de grands...

le 31 janv. 2023

18 j'aime

2