Sam Peckinpah est vraiment un réalisateur hors du commun. En défiant constamment la chronique par sa manière de dénoncer les faux-semblants acquis par l'Homme civilisé, il peut certainement être encore considéré comme énervant aujourd'hui. Preuve en est de la "critique" faite par quelqu'un qui lui a mis 4 en écrivant sans jamais justifier pourquoi il avait mis une telle note (et qui a d'ailleurs préféré le remake). Mais bon, il est vrai que le style de Peckinpah, l'ambiance qu'il donne à ses films, les choses qu'il dénonce et la manière dont il les met en scène ne laisse personne indifférent, et un style aussi atypique ne manque pas de déranger.

Oui, car déranger, c'est bien ce que fait Peckinpah avec Straw Dogs. Mais j'y viendrai plus tard. Résumons-nous rapidement d'abord. David (Dustin Hoffman), mathématicien américain, homme "trop gentil" faisant figure d'intellectuel, va s'installer dans une ferme de la campagne anglaise avec sa superbe femme, Amy (Susan George). Celle-ci rencontre dans le village un ex qui lui fait bien comprendre qu'il ne l'a pas oubliée. Voilà pour la base du film. Un "bunch of critics", comme dirait Aurea, est dévoilé à l'écran par un Peckinpah au top, bien que ce n'eût étrangement pas l'air d'être le cas au cours du tournage durant lequel il aurait connu quelques overdoses de boisson... L'attirance irrésistible de boire de la bière en Angleterre, j'imagine... Toujours est-il que cela n'a eu aucune -mauvaise- influence sur le film.

Dans Straw Dogs, Peckinpah met en exergue la sauvagerie que chaque être humain, quel qu'il soit, possède en lui, plus ou moins enfouie. Ce qui est certain, c'est que tout Homme a son propre point de rupture apte à libérer la sauvagerie enfouie au fond de lui. Chez certains, la sauvagerie est à fleur de peau, chez d'autres, comme c'est le cas avec David ici, elle a besoin d'être généreusement alimentée pour se montrer. La barbarie est une des conditions inhérentes de l'Homme qui ne l'a jamais quitté depuis sa naissance. La plupart des Hommes civilisés la renient, l'enfouissent, la dissimulent de beaux atours et de sourires, mais elle est là et bien là. C'est entre autres sur ce point qu'insiste Peckinpah dans Straw Dogs.

Prenons les habitants du village, qui sont la preuve que Peckinpah n'a épargné personne. On retrouve ainsi parmi eux un vieux pochtron qui passe ses journées au bistrot du village, dont la fréquence de sourires et l'apparente sympathie n'ont d'égale que la barbarie qu'il dissimule tant bien que mal au fond de lui, les jeunes "sympas" ("normaux" en tout cas), lesquels montreront au fur et à mesure ce dont ils sont capables, le trentenaire demeuré qui laisse supposer qu'il ne ferait pas de mal à une mouche et qui ressemble fort à un pédophile, la jeune ado aguicheuse, le tenant du bistrot qui s'efforce de rester "commerçant" en faisant du socialising (terme inventé qui signifie "adapter son comportement en fonction de son entourage afin de servir au mieux ses propres intérêts"), ou encore "l'homme de loi", juge du village il me semble, adoubé en sa présence par les habitants et décrié ou moqué en son absence.

La pression de Straw Dogs est exponentielle pour se terminer sur un finish incroyable, et une dernière scène qui peut soulever de nombreuses interrogations. Mais bien d'autres éléments nous poussent à nous interroger. Le fait que Amy se promène en tenue "affriolante" (ou même sans tenue...) justifierait-il de lui imputer une quelconque part de responsabilité dans ce qui va lui arriver ? La -toute- fin est-elle méritée ? Quelle part de responsabilité devrait être attribuée à David dans les événements qui suivront leur installation, du fait de son absence d'intimidation envers les villageois qui louchent sur sa femme, ou encore à cause de son attitude à laisser couler plutôt que d'agir ? Quelle responsabilité a-t-il dans l'attitude de sa femme du fait de sa négligence envers elle ? Et sa femme, justement, doit-on la plaindre, la blâmer, souffrir avec elle ? Les 3 en même temps, sans doute. Car si la sauvagerie de l'Homme est maintes fois exprimée dans le film, son degré de malignité progresse crescendo, au même rythme que la pression -ou l'oppression.

Straw Dogs de Peckinpah est un petit bijou du cinéma qui dérange (à l'époque de sa sortie en tout cas), mais son intérêt est indéniable. Beau, stimulant, dur, triste, satirique, parfois drôle, Straw Dogs est en quelque sorte un tout en un dans lequel Sam s'amuse à pointer (je ne parle pas du pull sans soutien-gorge d'Amy...) sans ménager personne ce que la civilisation tend à nous faire oublier. Mais ne vous y trompez pas : même l'Homme à l'apparence la plus frêle peut se transformer en démon si son point de rupture est atteint et qu'il laisse libre cours à la sauvagerie qui sommeillait placidement en lui. Sinon, le monde ne connaitrait ni tueurs, ni violeurs, ni mauvais, ni... Bref, sinon, nous vivrions à Bisounours Land. Oh, quelle belle peluche ! BLAM !!! (peluche dissimulant une bombe antipersonnel, technique très prisée des fomentateurs d'attentats). Et oui, ce pays onirique n'existe que... dans les rêves naïfs, justement, ou... les dessins animés.

Vous l'avez compris, ce film m'a profondément marqué, que ce soit par ses personnages, son envergure généraliste et réaliste sur les facettes de l'être humain que l'on préfère ignorer lâchement.
S'en dégage une vérité universelle qui correspond parfaitement à l'esprit de Straw Dogs :

"Mieux vaut prévenir que guérir !"

Et oui, car si l'on n'éteint pas certaines flammes rapidement, il se peut que l'incendie déclenché soit irréversible. Tout comme les dégâts qu'il provoquera.
Taurusel
9
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le 12 mai 2012

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Taurusel

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