Inspiré de l'affaire de l'Arche de Zoé qui fit scandale lorsqu'elle éclata, Les chevaliers blancs raconte l'expédition d'un mois au Tchad d'une ONG, Move for kids, visant à trouver 300 orphelins et à les ramener en France pour les "distribuer" aux familles françaises qui ont financé l'opération. Chacune a versé 2.000 € pour récupérer un(e) petit(e) Noir(e) de moins de 5 ans, après vaccination sur place. L'ONG, associée à une équipe médicale, va se confronter à la dure réalité du terrain : avarie de l'avion, hostilité des locaux, roublardise des chefs de village, agression par les tribus en guerre, check points sévères de la part des Anglais chargés de sécuriser la zone.

Joachim Lafosse l'explique dans le bonus du DVD, ce qui l'a intéressé, outre l'éternelle question de la limite entre bien et mal, c'est d'observer comment un groupe se délite sous la pression des événements. Lorsque ça tourne au vinaigre, une bonne partie de l'équipe médicale jette l'éponge, évidemment accusée de lâcheté par ceux qui restent. La suite leur donnera raison puisque l'opération va tourner au fiasco - je ne pense pas divulgâcher grand chose tant on le voit arriver dès le début du film. Constamment énervé, Jacques, le boss incarné par un Vincent Lindon parfaitement à l'aise dans ce type de rôle, se fâche avec son contact sur place (Xavier, joué par Reda Kateb) et s'engueule copieusement avec sa compagne Laura (Louise Bourgoin, 20 ans de moins que lui : est-ce qu'on peut arrêter avec ce schéma-là au cinéma svp ?).

L'enjeu du film réside dans la tension entre l'objectif altruiste et la manière de faire. L'objectif est généreux puisqu'il s'agit à la fois de donner un avenir à des orphelins et de contenter des familles françaises en mal d'enfant. A l'appui de cette bonne cause, Joachim Lafosse nous montre une femme qui supplie l'équipe venue chercher des enfants de prendre le sien. La scène est assez déchirante. Plus tard, une autre femme vient visiter son enfant qu'on a pris pour un orphelin, elle vient seulement le voir mais veut le laisser aux Français. Une troisième scène enfonce le clou, celle où le massacre d'un village par un clan est raconté à l'équipe. Tous ces moments visent à faire ressentir le caractère positif de la mission de Move for kids.

Face à cela, il y a la manière, aux forts relents de colonialisme. La scène où Jacques s'adresse à la foule bruyante pour lui expliquer ce qu'il est venu faire dans le village m'a rappelé celle, dans Coke en stock, où le capitaine Haddock ne parvient pas à dialoguer avec les futurs esclaves découverts en fond de cale. Sauf qu'on est en 2014 ! Cette outrance est j'imagine volontaire : Lafosse montre des Occidentaux qui, au nom de leur vertu, se donnent le droit de tout acheter et de mentir sans vergogne à leurs interlocuteurs locaux. Comme le dit Xavier, c'est assez "vulgaire". Le Jacques de son film a l'arrogance des colons, discutant avec les chefs de village comme s'ils étaient ses employés et tutoyant systématiquement ses interlocuteurs, même lorsque ceux-ci sont chargés d'amener un Boeing 737... Jacques ne fait aucun effort pour s'adapter au terrain : il ne comprend même pas le mot "non" et n'a aucune patience alors que chacun sait que l'Afrique ne partage pas nos valeurs de rapidité, d'efficacité, d'engagement ferme, etc. Xavier tente à grand peine de lui faire sentir qu'il s'y prend mal, notamment quand il verse de l'argent d'avance à un chef sans aucune garantie d'obtenir les fameux orphelins. Reconnaissons toutefois que la mission de notre homme est tout sauf simple, ayant à jongler entre les injonctions des clients français, les péripéties du terrain et les tiraillements au sein de son équipe. Il ne parvient jamais à s'extraire des soucis qui le rongent, boudant les chants autour du feu (Julien Clerc !) ou les jeux puérils organisés en soirée. Ses motivations sont troubles : il ne semble guère ému par le sort de tous ces enfants. Son obsession ? Trouver suffisamment d’orphelins et les ramener en France pour réussir sa mission. Une déconstruction en règle du héros hollywoodien telle que l’évoque le cinéaste lui-même dans le bonus du DVD.

Le chef insufflant son état d’esprit à toute l’équipe, les enfants sont traités comme de la marchandise. On va les chercher ou on les rend selon qu'ils répondent ou non au critère "orphelin de moins de 5 ans". Assez glaçant.

Une journaliste suit tout cela, incarnée par Valérie Donzelli. Elle filme sans cesse, ce qui ajoute encore à la tension palpable chez les Français. Une bonne idée de mise en scène, qui ajoute aussi une mise en abyme. Devant sa caméra, Laura lâche un malheureux : "ça peut paraître léger, mais...". Son Jacques la reprend, mieux vaut dire "on n'a pas le choix".

C'est pourtant peu dire que l'équipe agit avec légèreté, lorsqu'elle emprunte un coucou réservé en principe à l'armée ou lorsqu'elle croit qu'un petit drapeau blanc sur un 4x4 suffit à la protéger d'une attaque par l'un des clans surarmés qui sillonnent le désert. Le tri des orphelins est tout aussi aléatoire : devant la journaliste qui questionne l'éthique du projet, toute l'équipe est assez embarrassée, à l'image d'un Lindon au regard fuyant.

L'erreur fatale sera de révéler la vérité à la traductrice : il eût bien mieux valu l'informer au tout dernier moment, se dira peut-être le spectateur. Une naïve boulette. Mais le film sait aussi se montrer plus nuancé, donnant à voir une équipe compétente : ainsi de la scène où on fait monter les enfants à une échelle pour qu'ils ne soient pas effrayés d'emprunter celle qui monte au Boeing. Il fallait y penser.

Tout de même : cyniques, arrogants et "bras cassés", ainsi apparaissent le plus souvent les Français de cette ONG. C'est la limite du film : il penche bien trop d'un côté de la balance, perdant ainsi en complexité. L'enfer est pavé de bonnes intentions, tel est la morale qu'il sous-tend avec d’un peu trop gros sabots. Côté bonnes intentions aussi Lafosse charge la mule, en prêtant à un membre de l'équipe la volonté d'adopter des enfants dont personne ne veut car trop âgés, et à une autre (la journaliste) le désir de recueillir un petit Noir craquant, contre la volonté de son compagnon resté en France. De film en film, Lafosse confirme cette tendance à en faire un peu trop : ici, pourquoi par exemple parler de 300 enfants à trouver en un mois, alors que le fait divers réel en concerne une centaine et que le film en montre à peine une cinquantaine ?

Formellement, c’est judicieux mais pas passionnant : caméra à l’épaule pour filmer au plus près les scènes de groupe (sans que cela se justifie toujours : exemple, ce plan fixe qui bouge montrant Jacques dans le camp de nuit), plans larges pour faire ressentir le caractère écrasant du décor dès que l’équipe quitte son camp de base. De la bonne ouvrage mais n’offrant guère de surprise.

Le réalisateur belge réussit certes plutôt son film d'aventure puisqu'on est assez captivé par le déroulement de l'opération. Mais, y allant un peu trop à la truelle, il ne parvient qu'à moitié à exprimer en profondeur les enjeux du récit. Bilan en demi-teintes, donc. Ni noir ni blanc.

Jduvi
7
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le 23 avr. 2023

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Jduvi

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