On attendait Les Banshees d’Inisherin avec quelques attentes suite à la belle réussite de 3 Billboards, qui ancrait davantage le cinéma de Martin McDonagh dans les recoins du cinéma des frères Coen. Ce dernier film s’inscrit dans une culture purement irlandaise, où l’on suit l’évolution d’un conflit amical, entre Pàdraic (Colin Farrell) et Colm (Brendon Gleeson). Pàdraic fera tout pour se réconcilier avec son ami, quitte à prendre des risques déraisonnables et irréfléchis.


Ce scénario abstrait, il faut le dire, est un vrai pari où McDonagh coche toutes les cases en maîtrisant à la fois la comédie noire, la comédie dramatique et l’absurde. Cela passe d’abord par la mise en scène, très propre, laissant beaucoup de place aux environnements en réduisant ses pantins sociaux dans des cabanes, bars renfermés. Le besoin de liberté des personnages est parfaitement retranscrit en ce sens, alors que le leitmotiv signé Carter Burwell laisse penser que tout est sur le point de redégénérer.


Colin Farrell le premier, se porte à merveille dans ce rôle où il peut exprimer tout son talent. Par son jeu d’expression, il sait à la fois jouer l’émotion triste comme l’incompréhension d’une manière autant subtile que grossière, parfaite pour rendre son personnage très paradoxal. Véritable crétin, son humanité le rend très touchant, lui n’ayant pas vraiment grand-chose dans sa vie. Plutôt une belle idée donc de questionner le point de vue de Colm, rien qu’en suivant constamment les efforts réalisés par Pàdraic pour se réconcilier avec son ami. Cela donne lieu à des scènes particulièrement bien exécutées, notamment une où Pàdraic ne se contrôle plus et lâche prise dans le bar face à son ami.


Le film est également construit comme une fable, évoquant l’obstination humaine, à faire ou ne pas faire ce qui est demandé, et la création facile d’un conflit entre hommes dans une communauté isolée. Les raisons poussant Colm à refuser l’amitié sont à la fois compréhensibles et égoïstes, tout comme celles de Pàdraic tendant à forcer l’amour pour se sentir bien dans sa peau. Plus que cela, le réalisateur finit sur une inversion de tendances, tendant à faire passer l’autre personnage pour le nouvel handicapé social, sous une forme différente. McDonagh maîtrise bien son registre, et chaque scène semble se finir sur une suite indéfinie, que l’on connaît pourtant d’avance.


Il y a beaucoup de plaisir à suivre ce comique de situation, assez triste et pourtant doux à la fois, car le metteur en scène met beaucoup d’amour dans ces personnages, et il ne s’agit jamais de questionner la crédibilité de l’ensemble. Le réalisateur assume son parti pris, sans expliciter le second degré, filmant très naturellement les pérégrinations de son personnage et ses excès. La belle photographie de Ben Davis, habitué des films de McDonagh, participe au calme des environnements, avant la tempête.


Les Banshees d’Inisherin constitue déjà le meilleur film de Martin McDonagh, parfaitement réglé sur les différents registres convoqués. C’est une occasion pour les acteurs de briller, dans les silences comme les dialogues absurdes. Une belle surprise qui procure le rire, l’émotion, et l’amusement, qu’il ne faut surtout pas refuser.

A retrouver ici : https://cestquoilecinema.fr/critique-les-banshees-dinisherin-le-voyage-inattendu/


William-Carlier
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le 11 janv. 2023

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