Jamais je n'aurai ressenti un tel sentiment de trahison en voyant un film. Et pourtant je ne suis pas particulièrement tintinophile (je connais et j'aime bien, mais sans fanatisme) et je n'ai pas l'habitude d'être un puriste qui tient à ce que l’œuvre originelle soit respectée à la virgule près. Mais là, non, non, ce n'est juste pas possible.

"Nous respectons religieusement son art, jusque dans les personnages secondaires", dit Steven Spielberg à propos de Hergé (d'après Wikipedia).
De deux choses l'une : soit Wikipedia a picolé en retranscrivant ces mots, soit c'est Steven Spielberg qui a dit ça en picolant, avec une ironie terrible. Mais comment peut-il oser dire ça, cet anthropopithèque ?

Côté personnages : Tintin, d'accord, à peu près respecté (sauf lorsqu'il se décourage, ça sonne tellement faux par rapport à ce qu'est réellement Tintin). Quelques personnages secondaires, comme Nestor ou Allan ou les Dupondt, d'accord. Mais le capitaine Haddock est grotesque. D'un alcoolique drôle malgré lui mais bougon, colérique et brave, ça devient un lâche, un maladroit, un clown, une espèce de raté, un héros déchu à l'américaine qui boit comme un trou, un "boit-sans-soif", quoi, qui en fait "ne mérite pas de boire" (pour paraphraser Jean Gabin dans "Un singe en hiver") alors qu'il "tutoyait les anges" (ibidem) dans la BD, et qui va là devenir un super-héros connaissant le moindre pouce carré d'océan, renaître de ses cendres tel le Phénix et finir en apothéose spielbergienne. "Il y a un mur, je passe à travers". Raaah ! Scolopendres !
Et surtout : Sakharine. Mais qu'est-ce que c'est que ce foutoir ??? Quel besoin de transmuter un personnage secondaire assez "bon", dans le fond, en machiavélique vengeur de son "aïeul" (eh oui ! comme dit l'autre : "c'est à ça qu'on les reconnaît") vaincu par le chevalier de Hadoque ? Où sont mes frères Loiseau ? Et c'est quoi ce Barnabé Dawes en papier mâché ? C'est scandaleux.

Et j'embraye sur la deuxième partie : "l'art" de Hergé. Mais comme dirait Moscato, "de qui se moque-t-on ?". Quelques détails m'ont agacé à la limite de m'insupporter, à savoir en particulier : l'humour potache de la BD franco-belge devenu un humour qui tache bien américain (mention au rot dans le moteur) ; l'excès de spectacle (avec en point d'orgue cette ridicule bataille navale de mes deux et ce combat de grues grotesque sur les docks) ; l'anglicisme des journaux, des boutiques dans la rue... on est en Belgique, les gars ! ce qui se conçoit avec les contraintes de la BD en langue étrangère peut aisément être adapté et sous-titré pour un peu de cohérence dans un film d'animation. Le début du film n'est pas si mal (rien de fabuleux non plus, hein) ; puis l'escapade nocturne à Boudinsart commence à me mettre la puce à l'oreille sur les libertés prises avec la BD (mais mes souvenirs fumeux de la BD laissent le bénéfice du doute pour quelques détails, sauf l'identité de Sakharine qui me scandalise déjà). Mais surtout, le tournant, c'est le meurtre de Barnabé : KARABOUDJAN. Là, non. Je refuse ; et je me rappelle alors à ce moment précis qu'on m'avait dit, en effet, lors de la sortie du film, que celui-ci mélangeait des albums de Tintin qui n'avaient pas grand chose à voir entre eux. Je redécouvre cette réalité avec horreur... Ention et damnafer ! Et voilà donc la fine équipe partie pour le grand n'importe quoi, un coup le Vendée Globe, puis Indiana Jones et le trésor perdu de Mitsuhirato, puis Tintin chez le Sultan, puis le meeting de la Ferté-Allais en hydravion à réaction avec une ressource digne des MiG-21 de la grande époque. J'ai craint, à un moment, qu'on ait Piotr Szut chez les Picaros, Vol 717 pour la Lune, le Général Alcazar sans les pommes de terre frites et Ottokar au royaume du sceptre de cristal. J'ai craint surtout, plus prosaïquement, que Steven nous prive à la fin de Saint-Jean l'Evangéliste au profit d'un bon vieux pygargue à tête blanche sur fond de drapeau étoilé (pour que ce soit mieux compris par le public américain, naturellement, qu'il ne faut pas trop confronter à la culture), ou bien qu'on zappe tout bonnement le fameux "et puis resplendira la croix de l'aigle", qui ne serait devenu qu'un petit poème sans importance. Dieu merci, il m'a laissé ça. Bon, ça reste cependant n'importe quoi parce qu'on a court-circuité tout "Le Trésor de Rackham le Rouge" (aparté : je n'en suis pas certain parce que mes souvenirs de la BD sont vagues et parce que je pensais de plus en plus à autre chose à mesure que le film avançait, mais il m'a semblé qu'"à m'en'donné", on nous présente le trésor comme étant, de base, dans les cales de la Licorne, c'est-à-dire ayant été constitué par le chevalier... or je crois me souvenir que l'histoire réelle, c'est que le navire de Rackham coule, donc que les pirates transbordent leur butin (le fameux trésor) à bord de la Licorne. Cela serait d'ailleurs pour ça qu'on l'appelle "trésor de Rackham le Rouge" et non "trésor de François de Hadoque". A confirmer, je ne hurlerai que si c'est avéré).

Bref, on n'aura évidemment jamais droit au célèbre méridien de Tombouctou dans l'épisode à venir de Peter Jackson qui le fera rejoindre ma liste noire à la suite de Steven (au pays des Soviets du Pharaon à l'oreille bleue). Là, encore trop fatigant pour l'intellect moyen. Je prédis plutôt un genre coupe de l'America quelque part entre Usual Suspects, Le Secret du Temple Maudit, Die Hard III et Benjamin Gates et le Livre des Secrets (pour l'aspect frenchie ; ou alors un Luc Besson).

Voilà. Donc 2/10, et non pas 1, parce que visuellement c'est relativement réussi, et c'est assez fluide dans le scénario. Mais ce n'est pas Tintin, navré. Et qu'on ne vienne pas à me dire que le diptyque de la Licorne ne donnait pas la matière pour une superbe adaptation beaucoup plus fidèle dans le scénario sans rogner sur la qualité du spectacle ou le rythme.
Steven, je te conchie ! (comme dirait Katia dans "Le Père Noël est une ordure")
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le 23 févr. 2015

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