Cher George,

Je me permets cette petite familiarité pour commencer ce long courrier car j'ai l'impression d'un peu vous connaitre. Pas seulement parce que vos passionnants entretiens avec Numa Sadoul qui ont bercé quelques récentes vacances m'ont permis de mieux vous découvrir mais parce que Les Cigares du Pharaon est une de mes premières lectures en bande dessinée.
Comme beaucoup, étant plus jeune, j'ai dévoré les albums de Tintin -et les aventures de Quick et Flupke- sous ma couette et je les relis encore maintenant avec un plaisir non dissimulé, y découvrant beaucoup de choses à coté desquelles j'étais passé étant plus jeune.

Mais je m'égare. Je voulais évoquer une conversation téléphonique que vous avez eu avec Steven Spielberg en 1983. Vous aviez à l'époque donné votre accord pour que le cinéaste s'empare de votre œuvre. Vous saviez alors que ce ne serait pas fidèle mais qu'il y « ajouterait sa personnalité ». Je crois pouvoir vous dire qu'il y a 28 ans vous aviez eu une excellente intuition car celui que vous avez choisi livre avec son film prévu le 26 octobre 2011 un véritable chef d'œuvre digne de votre travail.

Steven Spielberg a bien fait d'attendre près de 30 ans pour porter Tintin à l'écran. En effet, il a découvert grâce à votre personnage l'utilisation de la performance capture. La technique permet de capturer les mouvements des acteurs qui joue en toute liberté dans des décors minimalistes ou inexistants. Ça a plusieurs avantages.
Pour le comédien d'abord, parce qu'il est absolument libre, ni coincé dans un décor ou un costume, ni sous la pression d'un cadreur ou d'un preneur de son. Il peut vivre son personnage à fond.
Pour le réalisateur ensuite puisqu'il peut travailler ses séquences après les avoir mises en boite et n'est pas coincé par la limite de la caméra. La performance capture dans les mains de Steven Spielberg, c'est plus qu'un simple gadget. C'est une petite révolution car il transforme le plomb en or.
Outre le fait qu'il s'amuse à utiliser cette nouvelle façon de faire du cinéma, il a bien compris que la meilleure manière de rendre hommage à votre ligne claire et au dynamisme de vos cases, c'était non seulement de donner vie aux personnages en trois dimensions mais surtout d'être perpétuellement en mouvement. La caméra virevolte, bouge, suit les personnages, les accompagne dans chacun de leur geste. Comme le lecteur au fil de vos pages.

Pouvait-on faire plus bel hommage ? On peut être encore plus précis, notamment grâce à la sublime scène d'introduction qui vous met en scène. Oui, mon cher George, Steven Spielberg a eu l'excellente idée de commencer l'histoire sur ... vous ! Ce petit passage de relais, suivi par la réflexion du vendeur sur le marché de Bruxelles (« Tout le monde le connait, c'est Tintin ! ») permet à la fois de donner vie à votre héros mais aussi de ne pas avoir besoin de l'introduire. On peut dès lors rentrer dans le vif du sujet : la Licorne. Spielberg et son comparse Peter Jackson ont eu le nez creux en confiant l'adaptation de vos albums à des scénaristes « ayant une sensibilité européenne ». Steven Moffat, Joe Cornish et Edgar Wright se sont emparés de votre univers, le modifiant, renforçant certains aspects, mais sans jamais le dénaturer. Ils ont bien compris qu'il fallait piocher dans vos différentes planches issues d'autres albums pour monter leur histoire et que tout se trouvait déjà dans les 24 albums.

Ils ont notamment pris le parti de renforcer le coté « héritage des Haddock » transmis par François à Archibald. Cela leur permet sans mal de mêler deux albums, Le Crabe aux Pinces d'Or et le Secret de la Licorne et d'y injecter par petites touches des éléments issus d'autres histoires parfois sous forme anecdotique (un hommage à la « Lune »), sous forme plus sérieuse (un tank tout droit sorti de l'Affaire Tournesol) ou tout simplement pour rappeler que Tintin a vécu d'autres aventures avant celle-ci, comme vous le savez si bien.

Ça vous fera sans doute sourire mais on compare à nouveau Tintin et Indiana Jones. J'imagine que lorsque vous avez parlé à Steven en 83, il avait évoqué le lien entre les deux personnages. La comparaison se fait encore aujourd'hui, mais dans l'autre sens. Spielberg aurait-il fait de Tintin son nouveau Indiana Jones, débarrassé d'un George Lucas trop encombrant ? Personnellement, je ne le pense pas. Il réalise juste un immense film d'aventure, car le point commun entre son héros et le vôtre, c'est bien l'Aventure avec une majuscule.
De fait, mais aussi parce que l'histoire le permet, Le Secret de la Licorne contient plus d'action. On pourra le reprocher (comme on pourra reprocher à John Williams d'avoir oublié d'écrire un grand thème comme il l'a fait pour Star Wars ou Harry Potter) car la toute fin est beaucoup plus « grand spectacle » que tout ce que vous avez écrit. Mais après tout, n'est-ce ce pas juste parce que le cinéma le permet et pas la BD ?

Mon cher George, vous l'aurez compris au travers de ce long courrier. Steven Spielberg n'a pas fait que transposer Tintin à l'écran. Il livre avec son Secret de la Licorne une véritable déclaration de respect à votre travail et montre pendant un peu moins de deux heures qu'il vous aime. Et il va même au delà car, avec la collaboration de Peter Jackson dont on attend impatiemment le travail sur d'autres albums, il livre à la fois le meilleur de 2011, un film à l'ancienne mais aussi quelque chose de complétement moderne. Il prouve avec Tintin et le Secret de la Licorne que l'avenir du cinéma, après le son et la couleur, c'est la performance capture.
De là à penser que le film est une petite révolution, déjà entamée par James Cameron, il n'y a qu'un pas.

Quoiqu'il en soit, mon cher George, s'il y a des cinémas là où vous êtes, je ne peux que vous conseiller d'aller voir Tintin et le Secret de la Licorne.
Je suis sûr que ça vous plaira.

Avec toute mon admiration,

- Marc
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le 13 oct. 2011

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