Robin Pront adapte avec LES ARDENNES une pièce de théâtre écrite il y a dix ans par Jeroen Perceval (le frère looser Dave dans le film) qui racontait l'histoire de trois amis se rendant dans les Ardennes pour "se débarrasser de ce qu'il y a dans le coffre de la voiture". Cette base, Robin Pront et Jeroen Perceval l'ont considérablement modifiée ; les trois amis sont devenus deux frères, et une première partie décrivant leur quotidien, a été rajoutée. Toutefois, le mcguffin et le décor - Les Ardennes, resteront centraux.


Donner un background aux personnages avant de les précipiter dans le chaos semblait être une bonne idée ; créer de l'empathie avant de le contraster par un certain suspens. Malheureusement, ce vécu s'ancre un peu trop dans l'imaginaire cinématographique pour prendre vie. Une sortie de prison, deux frères aux caractères opposés, un triangle amoureux, la réadaptation au quotidien, les séances de drogués anonymes, le petit-banditisme - dont l'épicentre est une boite de nuit, le travail manuel diurne comme couverture... Des personnages, aux situations, en passant par tous les micro-enjeux qui construisent un quotidien, tout cela rappelle James Gray, puis tous un tas d’œuvres immergées dans le genre gangstereux, popularisé par FFCoppola puis Scorsese. Mais comme toujours, ancrer des personnages dans quelque chose de très reconnaissable permet au spectateur de ne jamais se sentir perdu, même si pour ma part, je préfère la réutilisation d'influences au service d'obsessions d'auteurs, plutôt que l'alignement de gimmicks comme esthétique.


Photo du film LES ARDENNES : photo de famille


Pour comparaison, le fameux Bullhead auquel la promo du film raccroche volontiers LES ARDENNES trouvait sa propre personnalité dans la transposition des codes scénaristiques du film de gangster vers un décor différent et exotique (le milieu des agriculteurs wallons), ainsi qu'un personnage dont le vécu interagissait magistralement avec la mythologie assez singulière du film. Dans le film de Robin Pront ou du moins dans sa première partie, les personnages ne sont jamais plus que des archétypes de cinéma. Si empathie il y a, elle provient de nous et de notre connaissance des codes inhérents au film de gangster, et jamais des protagonistes (ou même personnages secondaires), n'existant pas en dehors de leur caractérisation. Seuls l'interprétation (fluctuante) et le décor (exotique, même si très "Dardenne") parviennent à donner un semblant d'âme et de personnalité à cette présentation.



"LES ARDENNES semble trop inconscient de ses propres influences pour s'émanciper par son propre talent."



Car paradoxalement, il y a un sens du détail assez intéressant et palpable dans les dialogues, les décors, ou quelques situations. On pense à cette phrase de Sylvie "je veux juste avoir une vie chiante" ou au passage du sapin, qui de l'aveu de l'auteur, sont inspirés de son propre vécu. Puis il y a pour moi la qualité majeure du film, sa mise en scène. Personnellement, je suis toujours attiré par la sensorialité d'un film, par ce que transmet l'image sans avoir besoin de l'exprimer scénaristiquement ou par les dialogues. Il y a ainsi dans la première partie, ce sentiment de stabilité, et de confort, qui se traduit à l'image par beaucoup de plans fixes dans lesquels la caméra zoome et dézoome (TRES) lentement, de champ-contrechamps mettant en avant les oppositions de caractères, de points de vue. Puis surtout, les plans de cette première partie frappent par leur symétrie. Toujours cet horizon au centre de l'écran, ces personnages au centre du cadre, de part et d'autre d'un axe invisible. Il y a ce sentiment de stabilité, de confort qui semble évident, et ne sera perturbé qu'à très peu de reprises, notamment lors du plan séquence de l'appartement, ou Sylvie menace de casser la stabilité du couple formé avec Dave pour justement "avoir une vie chiante".


Photo du film LES ARDENNES : la symétrie au cœur du quotidien


Et durant la seconde partie du film, cette symétrie disparaît. La caméra se fait plus libre, plus aérienne. De longs travellings latéraux font leur apparition, des mouvements de grue captent des décors rugueux (une casse, une forêt) la stabilité et le confort se muent en imprévisibilité. De nouveaux personnages font leur apparition dans ces Ardennes. Leur instabilité (sociale, psychologique, sexuelle) contraste avec le manque de relief des deux frères. Il y a un intéressant conflit, une contamination des uns (les stables) par les autres (les instables) et vice-versa, qui se traduit même par la mise en scène (le retour du plan fixe et de la symétrie). C'est sensoriellement très intéressant même si là encore, quelques inspirations transpirent un peu trop de l'écriture, rappelant ces œuvres ou "le cinéma" rencontre "le réel" type frères Coen, ou récemment Breaking Bad. Impossible d'en dire toutefois plus sans casser le mystère somme toute, efficacement mis en place.


Notre interview avec Robin Pront nous aura finalement apporté un certain éclaircissement, puisqu'il semble qu'il ait majoritairement construit son film de façon instinctive. Personnellement, je dirais qu'il a été trop inconscient de ses propres influences pour s'émanciper par son propre talent, par la réutilisation de ces influences au service d'un discours, d'une sensibilité et d'obsessions personnelles. Ne reste pour moi que l'énergie des acteurs, une mise en scène sensorielle et techniquement aboutie et un certain soin du détail qui mettront peut-être, en fonction de votre engouement pour l'un ou l'autre, un peu plus d'épices dans cette soupe de pop culture.


Chroniqué par Georgeslechameau pour Le Blog du Cinéma

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le 5 avr. 2016

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