Dans la pénombre d’une chambre, la caméra s’attarde longuement sur un jeune visage endormi, caresse délicate et précise qui se substitue à notre regard, puis effleure les formes juvéniles, sous la nuisette qui laisse à découvert les longues jambes nues de l’adolescente.


En proie à une agitation de plus en plus fébrile, la jeune fille se tourne et se retourne, émergeant peu à peu de son rêve érotique, ses mains s’emparant avec lenteur d’un corps dont elle reprend conscience au fur et à mesure, l'esprit embrumé, encore sous le choc d’une émotion inédite et d’un désir palpable.


« C’était ce temps
Léger, irrévocable, alors que s’ouvre
Aux yeux enfants la misérable
Scène du monde et leur sourit comme l’image
D’un paradis »


Et ce n’est pas un hasard si Giacomo Leopardi, poète et philosophe de « l’Infelicita » et du mal être romantique, qui exalte si bien la noirceur de la vie et la fragilité humaine, donne le ton au récit doux-amer de cette chrysalide avant qu’elle ne devienne papillon.


Loin de la légèreté affichée de nombreux teen movies de cette époque, une douce mélancolie semble flotter autour du personnage : Catherine Spaak prête son visage grave, ses grands yeux sombres et sa silhouette élancée à Francesca, jeune bourgeoise romaine de 17 ans qui, tout à sa liberté, préfère musarder au gré de ses envies, délaissant ses cours, pour suivre son désir naissant et retrouver au plus vite l’objet de son rêve.


Celui-ci, Enrico,(Christian Marquand) architecte séduisant et cultivé de 35 ans, ami de ses parents, promène son dandysme nonchalant au sein de sa luxueuse demeure, mais sous le ton badin et la sollicitude désinvolte qu'il est de bon ton d'afficher, se devine un homme dont le flegme apparent, propre à son milieu, ne saurait masquer l’inquiétude, typiquement masculine, envers ses compagnes, prédatrices vénéneuses, à l’élégance impeccable et glacée.


Francesca ne fait pas encore partie de la cohorte des femmes : son charme naturel, son regard profond et ses silences de jeune fille le rassurent et le touchent à cœur.


Et c’est ainsi que l'on va assister, durant toute la journée que dure le film, au parcours initiatique de l’adolescente : une longue promenade dans une Rome contrastée, mondaine et populaire, placée, pourrait-on dire, sous le signe du trouble, cet état délicieux et intense qui précède le désir, si cher aux filles en fleur.


Une déambulation de tous les instants, qu’accompagne le réalisateur, filmant sans répit le visage de sa jeune interprète, qui, au hasard des rencontres, observe le monde, guidée par sa troublante obsession.


Une façon pour Lattuada de poser un regard critique, non exempt de sarcasme, sur ces riches Romaines, issues de la haute bourgeoisie : une quête plus ou moins bien assumée, l’homme perçu par les femmes comme un objet sexuel dont elles ne peuvent se passer, pour tromper leur ennui et combler leur désir inassouvi.


Paradoxalement, le monde des adultes est décrit comme immature et hystérique, en témoigne la scène où Francesca, préférant sortir avec la mère d’une de ses amies, se retrouve en compagnie d'une femme poupée irresponsable et insouciante, qui tue le temps à coups de distractions mondaines ou conquêtes de jeunes et beaux mâles moyennant finances.(Jean Sorel, de dos : Renato)


L'on ne peut s’empêcher de comparer, bien plus tard, les retrouvailles de la jeune fille avec ses congénères, jeunes gens extravertis et brillants qui se livrent à une course de voitures dans la campagne romaine : jeunesse dorée, cheveux au vent, dans la décapotable vrombissante…


Et le raccourci que propose alors Francesca à son frère, n'est que la métaphore d’un autre «terrain de jeu» : celui de la confidence et de la complicité pour enfin devenir femme.


Finesse et intelligence de la mise en scène qui traite de façon sensible les premiers désirs amoureux, la sexualité des adolescentes étant abordée avec douceur et retenue.

Lattuada, plutôt que de fournir une réponse frontale, se propose de « contourner la dimension charnelle, privilégiant le trouble et le besoin intérieur qu’il suscite » : un regard féministe et insolite, voire impertinent, qui, en 1961 lui vaudra les foudres de la censure.
Film tout en nuances, il doit beaucoup à la grâce rêveuse de Catherine Spaak, parfaite pour le rôle.

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le 26 juil. 2019

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Aurea

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