Le blanc virginal de territoires enneigés et ennuagés, une longue clôture pour seule trace humaine (comme séparant les deux Amériques de la Guerre de Sécession), un titre français pitoyable, la musique d'Ennio Morricone se faisant de plus en plus inquiétante, et un Christ nu, comme résigné sur sa croix. On le sent déjà venir le western pas comme les autres se levant au crépuscule de son formidable aîné Corbuccien : Le Grand Silence.


Non content de nous avoir remis le genre au goût du jour avec brio, quelques années plus tôt avec son Django Unchained traitant de manière jouissive de l'esclavage, Quentin Tarantino semble avoir tellement pris son pied qu'il remet le couvert, dans une mercerie, et en pleine tempête de neige... Sauf qu'ici le racisme ne servira que de porte d'entrée à la démonstration d'une misanthropie et d'un nihilisme du chacun pour soi, mais du tous pour le dollar, dérive ultime du mythe américain où le rejet d'autrui ne se trouve mis entre parenthèse que pour ses intérêts plus ou moins immédiats. Pour dire, même l'hospitalière mercière noire Minnie s'avèrera être raciste, et pas qu'un peu...


Comme souvent chez tonton Quentin (toujours ?), Les 8 Salopards se découpe en plusieurs chapitres. La première partie a beaucoup fait parler : ennuyeuse parce que trop bavarde pour ses contradicteurs, je suis désolé mais en VO comme en VF je n'ai pas décroché un seul instant. Ah mais c'est que je les aime beaucoup moi ces dialogues ; non pas pour leur profondeur - quoique -, mais surtout pour leur précision, leur efficacité, la manière qu'ils ont de rapidement dépeindre des personnages impayables et tous plus fourbes les uns que les autres. Des dialogues de petit(s) malin(s), quoi ! ;)
Et franchement, des histoires comme celle de la lettre de Lincoln, c'est du v'lours.


La partie suivante, ouvrant le huis-clos de la mercerie de l'absente Minnie - après avoir donné un coup de pied dans sa porte d'entrée et l'avoir refermée avec des planches à clouter - offrira un tour d'horizon de personnages (casting de dingo comme d'hab) semblant presque tous se connaître, au moins de réputation. Et plus le monde est petit, plus les haines ont l'air grandes... Un monde où l'on ne s'associe pas avec l'autre, mais contre l'autre ; contre le danger qu'il représente. Le premier coup de maître survenant d'ailleurs, après l'hilarante résolution de l'énigme de la lettre, au cours d'une savoureuse légitimation de défense ! Un incontournable du western, mais formidablement amené sur l'air de "L'Hymne à la Joie" jouée au piano par le mexicain.^^


Entracte.
La voix-off française vient nous casser les couilles, et j'avais eu le même sentiment sur la VO (c'était Tarantino je crois). Dommage. Mais c'est aussi le moment choisi par le réalisateur pour faire tourner son long-métrage au gore. De la surenchère pour certains, du pur entertainment pour d'autres. Pour ma part, j'aime être surpris - et ça ne sera pas la dernière fois -, comme j'aime lorsqu'on invente un sous-genre sous mes yeux, ou presque (de cette qualité en tout cas). A noter également des petits détails d'humour noir comme ces raquettes accrochées au mur qu'il faut décrocher, mais surtout cette "pauvre" Daisy qui s'en prend plein, mais alors plein la gueule, littéralement...


Et tandis que le scénario était déjà - à mon goût - aux petits oignons du ragoût de Minnie (sans parler de la mise en scène assez ouf), le debrief en flash-back qui suivra ne fera que confirmer tout le génie en la matière d'el maestro Tarantino.
Quant au final, peut-être un peu too much, il aura au moins le bon goût de se conclure par la lecture de la fameuse lettre présidentielle...


Son aspect fictif faisant office de métaphore du fictif de ce sur quoi le mythe américain serait fondé : entre autres celui de la fausse liberté représentée par l'auto-défense armée, ou encore celle prétendument apportée par les billets verts avec sa trogne dessus, mais surtout que bon, fallait pas déconner non plus... une correspondance avec un "nègre" quoi... le président... aussi abolitionniste fut-il...


Le nouveau western.

Créée

le 14 févr. 2017

Critique lue 209 fois

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RimbaudWarrior

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