Alors que le scénario de son nouveau western est achevé au début de l'année 2014, le cinéaste Quentin Tarantino voit par malheur ce dernier atterrir sur le net. Désabusé, songeant pendant un temps à adapter son script en roman ou en pièce de théâtre (ce qui devrait être le cas dans les prochains mois), il reviendra cependant sur sa décision, débutant finalement le tournage début 2015 avec un casting légèrement modifié, certains participants étant depuis engagés ailleurs.


Avec un budget avoisinant les 45 millions de dollars et un tournage à l'ancienne en PanaVision 70mm, Quentin Tarantino va, contre toute attente, non pas livrer le film de la maturité comme l'espère la majorité des critiques depuis belle lurette, mais une sorte de retour à un cinéma moins référencé, à une énergie juvénile digne de ses débuts avec Reservoir Dogs, lui aussi un huis-clos tournant autour d'une poignée de personnages.


Car si The Hateful Eight est tourné dans de splendides décors naturels, la majorité de l'action va se dérouler à l'intérieur d'un simple relais de diligence, théâtre d'une véritable partie d'échecs qui se finira bien entendu dans le sang le plus épais et le plus rouge. Un western en vase clos qui s'apparente finalement plus à un jeu de dupes digne d'Agatha Christie, où le personnage mythique d'Hercule Poirot trouverait une fantastique incarnation en Samuel L. Jackson, ancien soldat devenu chasseur de primes tentant comme il peut de dénouer les fils de cette histoire pour le moins brumeuse.


Que les réfractaires au style extrêmement verbeux de Tarantino soient prévenus, The Hateful Eight est sûrement son film le plus bavard, la première moitié d'un film à la durée déjà conséquente (plus de 2h40) étant exclusivement constituée de dialogues. Mais à l'inverse de ces derniers travaux, où l'auteur finissait par noyer ses histoires dans un flot de bavardage et de références sans réelle importance dramaturgique, chaque mot, chaque parole prononcée dans The Hateful Eight trouve une justification, enrichissant à la fois le récit, les protagonistes ou aidant à instaurer une ambiance anxiogène qui n'est pas sans rappeler Le grand silence ou L'homme des hautes plaines.


Une atmosphère lugubre, à la lisière du surnaturelle, qui fera également penser au The Thing de John Carpenter, avec cette nature hostile, presque vivante, et surtout cette neige immaculée et ce violent blizzard tentant constamment d'entrer à l'intérieur de l'abri de fortune, comme pour prévenir les personnages des horreurs à venir. Un aspect bien évidemment renforcé par la partition sépulcrale d'Ennio Morricone, au top de sa forme, et par le superbe cadre éclairé avec talent par Robert Richardson.


Délaissant enfin ses sempiternels clins d'oeil au cinéma bis pour raconter une histoire qui n'appartient qu'à lui, dont la finalité n'est plus de rendre inlassablement hommage à un genre ou à un autre, Quentin Tarantino fait la part belle à ses anti-héros, sacrée bande de trognes incroyables et patibulaires, incarnée par un casting qui tient du miracle. Si chacun joue sa partition sans aucune fausse note, avec un charisme fou et une diction rendant parfaitement justice à une écriture brillante et affutée, on retiendra tout particulièrement la revenante Jennifer Jason Leigh, phénoménale de bout en bout dans un rôle casse-gueule et constamment au bord de la rupture. Une nouvelle figure de femme forte à mettre au crédit du metteur en scène, rendant ce nouvel essai incontestablement cohérent dans sa filmographie.


Un récit qui prend son temps (trop pour certains), maniant avec intelligence le suspense et l'humour noir typique de son créateur, mais qui trouve sa justification dans son contexte historique passionnant, où les rencoeurs à la fois territoriales, raciales et politiques exploseront lors d'un jeu de massacre ultra-violent et carrément jouissif. Inutile de préciser que sans cette (très) longue exposition, la seconde partie n'aurait clairement pas la même saveur, la même folie furieuse.


Oeuvre à la fois littéraire et purement cinématographique, The Hateful Eight est pour moi le film le plus abouti de Quentin Tarantino depuis le diptyque Kill Bill. Un huis-clos certes imposant par sa longueur et ses partis-pris narratifs mais qui offre en retour un spectacle formellement magnifique et écrit avec brio, hanté de toute part par une partition entêtante et par une poignée d'enflures tout bonnement inoubliable.

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le 17 janv. 2016

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Gand-Alf

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