Le Voyage de Chihiro
8.4
Le Voyage de Chihiro

Long-métrage d'animation de Hayao Miyazaki (2001)

Le Voyage de Chihiro a avoir hors du Japon réussit un carton plein en remportant l'Ours d'or du meilleur film et l'Oscar du meilleur film d'animation. Le film le plus rentable des Studio Ghibli et de loin mais pourquoi un tel engouement ?

Circulations et métamorphoses apparaissent comme les bases du Voyage de Chihiro. Tout commence d'ailleurs par un déplacement en voiture, l'arrivée dans un lieu nouveau pour Chihiro et ses parents. Puis arrive la transformation, soit celle des parents en cochons. Tout le film est habité par cette idée de changements perpétuels, contredite narrativement par un des tours de force de Miyazaki qui consiste à faire du voyage un acte immobile, et davantage une expérience identitaire que purement physique. Le voyage qu'entreprend Chihiro n'a rien d'une épopée classique propre à toute quête initiatique, et très peu de déplacements ont lieu au sein de l'oeuvre. Tout se situe au contraire, et principalement, dans le changement de corps, de noms, et donc d'identités. Une des très belles idées du film - dont la première est le tunnel, lieu symbolique du passage - est que chaque personnage pénétrant dans " l'autre monde " perdra son nom pour en obtenir un autre. Mais ce facteur nouveau entraînera la perte progressive de l'identité ( Haku ).

Le Voyage de Chihiro est donc un film qui tout en exhortant à l'expérience du passage - subir des modifications, se transformer - ne cesse de dire l'importance de conserver une identité propre, qui s'est construite sur notre expérience de la vie et le respect des valeurs qui nous constituent. Chez Miyazaki, la progression vers l'âge adulte ne consiste pas en un abandon total de l'enfance, et ne trouve aucune satisfaction dans la brutalité d'une rupture. Son cinéma est affaire d'additions plutôt que de soustractions, d'incorporations plutôt que de délaissements, un peu à l'image du Sans-Visage qui engloutit d'autres personnages pour survivre. Même le spectateur semble contaminé par cet effet, puisque voir un film de Miyazaki consiste en cette rencontre choc entre deux états, c'est retrouver son âme d'enfant devant un cinéma aux considérations ô combien adultes. Si le déplacement est réduit dans le film, Miyazaki ne se prive pas d'organiser quelques petites migrations dont la teneur peut aller d'une appréciation purement esthétique ( l'envolée avec le dragon, moment suspendu, aérien, d'une grâce intense comparable à la balade inaugurale du Château Ambulant ) à une totale adéquation entre le fond et la forme, soit les passages en travellings avant du film. Idée géniale puisque ces derniers traduisent physiquement l'état mental d'un personnage principal qui ne cesse d'aller de l'avant tout au long du film ; concrétisation matérielle d'une évolution spirituelle donc, d'autant plus jouissive que les travellings contribuent à donner du rythme au film.

Chihiro change donc au fil du film, elle passe d'une petite fille plutôt renfermée sur elle-même et plus peureuse que son air un peu hautain ne le laisse imaginer à un personnage qui face à une impasse et d'incessants obstacles devra lever la tête et rassembler tout son courage. La transformation de la jeune fille est d'autant plus belle qu'elle se révèle totalement à nous, spectateurs qui pouvions trouver Chihiro un peu anodine au début ( elle n'a pas cette beauté naturelle des filles miyazakiennes, ni de grâce, ni un quelconque charme qui ferait que l'on tomberait facilement dessous ), et qui au fur et à mesure de l'avancée du film reconsidérons notre regard sur elle pour ne pouvoir qu'être totalement attachés à cette figure dont la beauté est finalement bien plus éclatante et appréciable que n'importe quelle splendeur physique, puisqu'elle se base sur la découverte d'un caractère fort et généreux, de valeurs morales d'un humanisme absolu. Je finis en parlant de la musique, absolument sublime, une des plus belles BO jamais composées.

Le Voyage de Chihiro confirme encore plus le talent de Hayao Miyazaki et du Studio Gibli qui ici signe un film de toute beauté et dans les sens du terme.

Créée

le 19 févr. 2014

Critique lue 334 fois

Karim

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