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Le Voyage de Chihiro
8.4
Le Voyage de Chihiro

Long-métrage d'animation de Hayao Miyazaki (2001)

"Le voyage de Chihiro" présente l'histoire d'une jeune fille, que l'on devine d'une douzaine d'années, se retrouvant contre son gré dans un monde d'adultes n'ayant qu'une seule occupation dans la vie : le travail.

Le récit débute dans la voiture, haut-lieu symbolique du monde du voyage, qui emmène Chihiro et ses parents vers leur nouveau domicile. On découvre alors une petite qui tire une langue quelque peu infantile à sa future école, et se plaint à chaque contrariété. Le décor est posé, et on s'étonne de celui-ci, car les héros de Miyazaki sont la plupart du temps discrets, voire effacés.

Alors que les parents font une halte dans ce qu'ils pensent être un ancien parc à thèmes désaffecté, Chihiro avance à pas de loups, se méfiant de chaque ombre sur son passage, suppliant son père et sa mère de rebrousser chemin vers leur véhicule. Puis, se laissant tenter par un buffet de mets plus impressionnants les uns que les autres, les parents de la jeune fille se transforment en cochon, la laissant désemparé face à la situation.

Bien sûr, on retrouve là la thématique du cochon dans l'oeuvre de Miyazaki. Dans "Porco Rosso", neuf ans avant Chihiro, le cinéaste ne donne jamais de raison quant à la transformation du pilote Marco Pagotto en cochon. Mais on s'imagine que ce dernier s'est métamorphosé car il a pris part à l'abjecte guerre qui a dévasté ce paradis qu'est la mer Adriatique. On s'imagine que tous les hommes participant à de tels massacres ne sont que... des porcs. Ici, les parents de Chihiro se transforment en cochon car ils cèdent à la tentation de la gourmandise, du gavage sans limite, en soi un comportement de... porc, quand on connaît la situation de plus pauvre qu'eux.
Plus tard, les studios Ghibli poursuivront leur thématique du gaspillage dans "Arrietty".

Chihiro, quant à elle, se retrouve malgré elle à travailler dans un palais de luxe accueillant tous les soirs des milliers de créatures aux airs bedonnants et bourgeois venant se relaxer après de dures journées de travail dans des bains gigantesques. On découvre alors un monde d'excès où chaque client est servi par une ribambelle de serveurs faussement policés, car assujettis à la règle du "client est roi". Ces mêmes "esclaves", d'après un personnage du récit, dorment entassés à plusieurs dans des chambres de fortune.

Cette oeuvre de Miyazaki porte avant tout sur la valeur qu'est le travail et les enseignements de celui-ci. Loin du Maître de vouloir juger le monde capitaliste, il s'attendrit sur les fourmis travaillant sans relâche pour rendre plus agréable le service rendu aux clients (auxquels le cinéaste ne s'intéresse guère à la personnalité). Avant tout, il parle de l'appréhension de ce monde par Chihiro, enfant à l'immaturité commune au début du film, qui se muera petit à petit en jeune adulte volontaire. Scène cocasse et fortement symbolique que celle où l'héroïne doit demander, il en dépend de sa vie, un travail "à tout prix" à la maîtresse des bains.

On ne s'intéresse dans ce film que peu à la nature, fait rare dans l'oeuvre de Miyazaki. Si la frontière entre le réel et le monde dans lequel Chihiro rentre est symbolisée par une rivière, et que tous les personnages sont "animalisés", les références à la nature restent peu narratives, mais surtout contemplatives par la poésie et le graphisme de certains paysages.

Ce qui frappe le plus est bien sûr les comportements totalement intéressés de chaque serveur, prêt à marcher sur tous ses collègues pour arracher une minuscule miette d'or. Dans ce monde d'adultes où chacun essaye de s'enrichir, en courbant l'échine devant les monstres et en oubliant même sa propre sécurité pour quelques pépites, Chihiro se pose comme un enfant n'ayant pas encore l'attrait de l'argent, et donc, qui n'est pas encore perverti par celui-ci. Le coup de maître de Miyazaki est de rendre Chihiro seule représentante de son espèce, alors que presque tous les autres personnages craignent les humains. Comme une crainte du reflet de ce qu'elle finit par leur renvoyer : la morale, la décence et la modestie. Car ici, l'accès à la matûrité, par Chihiro, est rapprochée avant tout de la morale.
Alors que dans "Porco Rosso", les soldats se transformaient en cochon, dans ce récit, les cupides ne sont plus que des espèces amphibies difficilement identifiables. Peut-être une espèce qui croit pouvoir nager sous l'eau, mais oublie à force de remonter à la surface pour se rendre compte des réalités.

Le thème de l'identité est aussi brièvement abordé lorsque Chihiro apprend que si elle oublie son nom originel, elle ne pourra plus jamais retourner de là où elle vient. On s'aperçoit alors que le Japon, à jamais une île avec tout ce que cela implique, conserve dans son inconscient collectif une forte préoccupation sur ce thème primordial de son Histoire. C'est sûrement ce qui fait la beauté des films de Miyazaki ; ses enjeux trouvent leur source même dans les peurs et les craintes de son pays.

Concernant la forme que prend le récit. L'imagination absolument débordante des dessinateurs prend une forme démente dans la description de chaque lieu. On pourrait presque mettre sur pause tous les plans et se laisser aller à scruter chaque petit détail dans les pièces, les paysages, les rues ou encore les trains. Alors si nous pouvons tenter de trouver un seul petit défaut au récit, ce n'est que sur le scénario où, parfois, il est compliqué de ne pas s'emmêler les pinceaux dans les buts poursuivis par les personnages. Mais ce n'est guère important tant l'alliage film d'animation/oeuvre symbolique, qui a fait la marque des studios Ghibli, est à nouveau réussit.

Il me tenait à coeur de finir ma critique sur un dernier élement de l'analyse symbolique du film ; l'absence totale de manichéisme, comme dans la totalité des récits du cinéaste. Chaque personnage, présenté comme bon ou méchant au début du film, trouve finalement ses heures plus sombres ou plus glorieuses lors de son développement. On finit alors par comprendre chacun de leurs gestes et chacune de leurs décisions. Alors qu'aujourd'hui sortent des longs métrages des plus démagogiques sur les crises financières, où sur les conflits sociaux naissant dans les pays occidentaux, on peut encourager les futurs cinéastes à prendre exemple sur ce monument de l'Histoire japonaise qu'est Miyazaki. Ce dernier, par l'ensemble de ses films, montre sans cesse et sans relâche que personne n'est ni blanc ni noir, mais que chacun est compréhensible dans son histoire propre et ses origines. Dans ce contexte-là, "Le Voyage de Chihiro", comme l'ensemble de l'oeuvre de Miyazaki, est un véritable plaidoyer pour la paix.

Et, lorsque durant la scène finale, Chihiro, humaine qui répugne ses collègues au début du film, est acclamée par ceux-là, la paix aussi prend forme ici de matûrité.
Cinemago
9
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Créée

le 13 sept. 2012

Modifiée

le 14 sept. 2012

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Cinemago

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