On peut regretter que Le Village du péché (un titre un peu lourd de sens pour un film qui n'était pas présenté de la sorte dans sa version originale, "Les Femmes de Riazan") n'ait pas extrêmement bien vieilli du point de vue de son ossature scénaristique. Dans les grandes lignes, il s'agit d'un mélodrame très classique dans le registre de la tragédie familiale issue du cinéma muet, qui ne surprendra jamais vraiment dans cette direction-là et qui n'empruntera aucun chemin de traverse pour filer droit vers son apogée tragique. Un mariage quelque peu imposé vient bousculer l'équilibre d'une famille paysanne russe et à la faveur de la Première Guerre mondiale, les hommes en âge de se battre étant partis au front, un drame familial enflera jusqu'à exploser au retour du mari. Le schéma est plutôt linéaire et une fois qu'il est vraiment amorcé, à mi-parcours, on voit très vite où le film veut nous emmener.


Heureusement, quelques traits singuliers viennent embellir de manière sporadique ce tableau un peu figé, focalisé sur le destin tragique d'une jeune paysanne. À commencer par la description du quotidien rural dans ce village russe, Riazan : la lessive de printemps, parfois étalée directement dans l'herbe au bord d'une rivière, le mariage et toute la cérémonie religieuse qui l'entoure, ainsi que le moissonnage des champs de blé à la faux. Ce dernier point est rendu de manière vraiment admirable, en plan large légèrement en hauteur, d'où on voit le blé onduler sous l'effet du vent et des faux, capturé dans une sorte de sépia terne (il existe cependant de nombreuses versions différentes du film) qui confère à cette séquence une force toute particulière. On n'est pas dans le registre du documentaire ni de l'ethnographie, mais le soin apporté à ces gestes-là s'en approcherait presque.


C'est toute la première partie, d'ailleurs, qui baigne dans une ambiance joyeuse, illustrant le bonheur de la vie à la campagne. Le déclenchement de la guerre de 14-18 viendra très abruptement mettre un terme à cette insouciance relative. Le film s'enfonce alors encore un peu plus dans le drame, avec les vues du père sur sa belle-fille et les conséquences tragiques, chargées en pathos — bien que traitées avec un sens aigu de l'ellipse. Le fait qu'aucun jugement moral implicite ne soit formulé à l'encontre de la jeune femme (évidemment, c'est elle qui portera tout le tort des abus de son beau-père aux yeux des villageois), au contraire, pousse certains à le qualifier de "premier film féministe soviétique", dénué de tout message propagandiste.


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Morrinson
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le 21 févr. 2019

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