Découverte tardive à la Cinematek Royale de Belgique de ce film d’espionnage étonnant à plus d’un titre. La qualité de cette copie (avouons-le franchement médiocre, mais il est assez plaisant de voir les vieux classiques dans leur qualité d’origine) ne m’a pas empêché d’apprécier ce chef-d’œuvre. Le terme, utilisé aujourd’hui à tort et à travers, n’est pas de trop tant le film est étonnant.

Holly Martins, petit écrivain américain, se rend en Autriche à Vienne, capitale divisée en quatre secteurs d'occupation alliés, et ce, sur l'invitation de son ancien compagnon d'études Harry Lime, qui lui a fait miroiter l'occasion de gagner de l'argent. Martins ira de surprise en surprise en découvrant que son ami est mort et tentera de découvrir la vérité sur la cause de son décès.

Le film étonne dès le premier plan de son générique. La cithare, jouant la musique du générique, est filmée en gros plan au niveau de l’ouïe. Et on voit les cordes vibrer. C’est simple et c’est beau. Et c’est à l’image du film qui ne cesse d’étonner. Car c’est un film totalement hybride. C’est à la fois un thriller, mais avec beaucoup d’éléments comiques sans pour autant que le film soit une vraie comédie. Le film manie parfaitement le suspens tout en ayant une vraie portée documentaire.

Carol Reed s’attarde beaucoup dans une Vienne en ruine après le seconde Guerre Mondiale, dont on a oublié qu’elle avait aussi été divisée en quatre division, à l’instar de Berlin. Comme Billy Wilder dans ‘La scandaleuse de Berlin’, le cinéaste britannique filme les ruines, le marché noir, la population qui essaie de s’en sortir. L’aspect documentaire s’insère parfaitement dans l’intrigue sans jamais être pesant.

‘Le troisième homme’ est un pur thriller, un vrai film noir comme on en faisait à l’époque avec ce quidam, ce monsieur tout-le-monde amené à enquêter autour d’une intrigue à tiroirs qui le dépasse. Personne ne semble être ce qu’il prétend être. Le film flirte parfois avec le film d’espionnage. On se demande à plusieurs reprises si une nation n’est pas derrière tout ça. Car Vienne semble un véritable nid d’espion, où tout le monde semble épier tout le monde.

Pourtant, et c’est ce qui est surprenant, c’est que le film est bourré d’humour, d’éléments de comédie sans que ça vienne perturber le thriller. Il y a déjà ces accords à la cithare qui rythment le film dès le générique et qui introduisent un joli décalage avec l’intrigue. Et puis, il y a de très belles idées, comme cette course poursuite en accéléré dans Vienne où Joseph Cotten et Alida Valli sont poursuivis par des habitants, et qui rappelle certains effets comiques du cinéma muet.

Ce qu’il y a de beau dans ce film et dans ce projet, c’est qu’un cinéaste britannique pose ses caméras à Vienne, en reprenant les codes du cinéma allemand. On retrouve ce goût pour les formes géométriques et les angles obliques, avec ces ruelles pentues. Mais il y a surtout, ces jeux d’ombres très expressionnistes, avec ces silhouettes gigantesques qui se baladent sur les façades.

Le scénario du film me semble être exemplaire, tant il emmène l’intrigue et le spectateur vers des zones et des lieux imprévus. Il y a ce passage inattendu dans une fête foraine, ou cette course poursuite dans les égouts de Vienne. Mais le coup de génie scénaristique est de ne faire apparaître Orson Welles, la star la plus identifiée du casting, au dernier quart du film, créant un sentiment d’attente pour le spectateur et accentuant le retournement scénaristique que suscite son apparition.

Le film me semble d’ailleurs « Wellsien » a plus d’un titre. On sait qu’Orson Welles a été très marqué par l’expressionnisme allemand quand il est devenu réalisateur. Ce passage étonnant à la fête foraine rappelle la scène de l’aquarium dans « La Dame de Shanghai ». Et ce plan superbe des doigts qui sortent de la grille d’égout rappellent les nombreux plans d’insert que l’on voit dans le cinéma de Wells. Ce qui est certain, c’est que le film de Carol Reed est du même acabit que les chefs-d’œuvre de Wells.

Noel_Astoc
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le 12 nov. 2023

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