Si 'Les communiants' marquait la fin de la foi du fait du mutisme de Dieu, 'Le silence' est la constatation de ce monde sans "amour" chez Bergman. La vie est alors vide de sens, profondément rattachée au terrestre, et les personnages ne sont plus animés que par un vague réflexe existentiel ("A quoi bon vivre" disait Esther à la mort de son père).


Accompagnées de Johan, respectivement fils et neveu, personnage crucial auquel le spectateur - et probablement le cinéaste au fond - s'identifie et voit les choses via son regard sur un monde qu'il ne comprend pas du fait de son innocence d'enfant, elles traversent un pays en guerre qui leur est étranger, on ne sait pas d'où elles viennent, on sait qu'elles rentrent chez elles c'est tout, et c'est suffisant puisque l'important réside non pas dans la destination, mais dans le voyage.
Esther et Anna sont les deux faces d'une même pièce: L'une est décomplexée, sensuelle et libérée, mais souffre d'une jalousie maladive envers l'autre, brillante et socialement élevée, mais terrassée par une maladie qui la ronge, consciente de sa mort imminente et profondément frustrée par une attraction malsaine et incestueuse envers sa petite soeur. De ces tabous naît une incompréhension (les difficultés de communications chères au réalisateur), incompréhension renforcée par l'inconnu de la langue, un fait qui les isolent dans leurs tourments intérieurs. Ces tourments, Bergman les capte avec une infinie pertinence grâce à une mise en scène en huis-clos étouffante où il s'attache à tirer de ses comédiennes (Ingrid Thulin dont je tombe peu à peu amoureux, et Gunnel Lindblom plus sulfureuse que jamais) la pleine complexité de la tragédie qui les déchirent. D'un érotisme latent troublant et fascinant à la fois (Séance d'onanisme compulsif pour Esther, voyeurisme dans une salle de cinéma pour Anna, ou ambiguïté multiple entre le jeune Johan et sa mère), je pense que 'Le silence' clôt parfaitement le travail effectué par Bergman dans ses deux longs-métrage précédent à propos de la religion - tout en n'abordant pas le sujet ici, on peut y voir d'ailleurs un "Silence" littéral, pourquoi parler de Lui alors qu'Il se tait -, et préfigure admirablement l'un de ses futurs grands chefs-d'oeuvre 'Persona' avec lequel il continuera son exploration intime de la psyché de personnages torturés.

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le 20 juil. 2016

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Sinbad

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