Le Schpountz par Gérard Rocher La Fête de l'Art

Dans un petit village du Midi de la France, Casimir et Irénée sont tous deux commis épiciers et travaillent dans le magasin de leur oncle Baptiste, brave homme un peu bourru qui a élevé les deux garçons. Baptiste aime son métier , se montre très à la hauteur et sera certainement en mesure de reprendre le commerce plus tard. Quant à Irénée, "Le Fada", il semble quelque peu benêt, déteste son activité pour laquelle il n'est d'ailleurs pas très doué et rêve d'être acteur de cinéma. Justement, un beau jour, débarque tout près une équipe de cinéastes venue tourner un film. Irénée ne peut s'empêcher de venir rôder auprès des techniciens en ayant la prétention de leur démontrer qu'il est doué pour le métier d'acteur. Aussitôt il devient la tête de turc de la petite troupe qui le surnomme: "Le Schpountz" qui peut se traduire par "le couillon qui veut faire du cinéma". Après lui avoir fait passer une audition déclenchant l'hilarité de tous, les cinéastes poussent la blague à faire signer un faux contrat mirifique pour le tournage d'un film. Malgré les avertissements de son entourage, Irénée décide de monter à Paris pour se rendre au studio. Là aussi, après avoir déclenché une pagaille indescriptible, il devient avec son air prétentieux la risée du personnel. Par pitié on lui offre un petit emploi d'accessoiriste pour lequel il fait ses preuves et obtient de la promotion. Son humour naturel est tellement remarquable qu'il finit par épouser Françoise la script girl et tourner un film dans lequel il fait hurler de rire les spectateurs. Le succès et la gloire étant là, Irénée décide de retourner dans son village où l'oncle Baptiste accueille les deux tourtereaux cérémonieusement avec à l'appui un mémorable discours de bienvenue...


"Tout condamné à mort aura la tête tranchée". Pour ceux et celles qui ont vu ce film, cet article du Code pénal français est aussi célèbre au cinéma que la tirade du nez de "Cyrano de Bergerac" au théâtre. Ce pur chef-d'oeuvre du cinéma français d'avant-guerre fait d'abord gentillement rire puisque l'on se retrouve au sein d'un village où chacun vaque à ses occupations coutumières sans se préoccuper, loin s'en faut, du cinéma, art au nom barbare réservé aux gens de la ville. Désirée passe certes pour un simplet parce qu'il se sent mal à l'aise dans la boutique. Dans son innocence il rêve de gloire et de lumière à tel point que, confiant, il va se laisser manipuler et ridiculiser par les gens du métier lui faisant déclamer la célèbre tirade sur tout les tons. A ce moment la comédie devient plus grinçante car elle démontre qu'à cette époque pour les professionnels du cinéma, un acteur ne peut faire rire, le rire étant considéré comme un art mineur et voué au ridicule et à l'échec. Puis, tout ce petit monde très fermé découvre qu'un personnage un peu simple et venu du fin fond de sa campagne possède un don unique: celui de faire rire des salles entières rien qu'à l'expression, au physique et à l'allure du personnage. C'est une révolution dans le cinéma, ce qui était considéré comme ridicule et inconcevant plaît au public et rapporte de l'argent. Ainsi sans le vouloir, Irénée vient de créer un nouveau style dans lequel, d'ailleurs, l'acteur excellera tout au long de sa carrière. Le bon à rien, "Le Fada" devient alors un personnage d'une ampleur considérable pour son oncle et les villageois qui à travers Irénée et Françoise leur ouvre les yeux sur le septième art.


Cette oeuvre de Marcel Pagnol fut tournée simultanément avec "Regain", l'équipe technique étant la même pour ces deux productions. Il s'agissait pour le réalisateur de relater au travers de cette intrigue un fait véridique qui s'était produit lors du tournage d "Angèle". Il est certain que cette aventure fut un excellent argument pour nous offrir ce petit bijou. Les analyses qui en découlent nous parodient à travers les aventures d' Irénée le milieu très snob et fermé du cinéma, lequel à cette époque n'était réservé qu'aux gens des grandes villes et qui avaient tendance à mépriser les petites gens de la France profonde. Nous assistons donc à l'évolution de ce milieu qui en reconnaissant par la force des choses le talent des comiques, va démocratiser cet art. C'est un peu le parcours de Fernandel qui est ici relaté et justement celui-ci se montre absolument exceptionnel par son humour naturel et ses changements répétés de comportement. Avec ce 34 ème film depuis 1930, il n'était en fait qu'au début d'une carrière fertile puisqu'il tournera dans 125 films. Ses partenaires, remarquables eux aussi, interprètent leur personnage avec leur coeur. Fernand Charpin est un oncle bourru, bon et sensible et toutes ces facettes ressortent à merveille à l'écran tout comme la grâce habituelle d'Orane Demazis, l'une des actrices les plus prisées de l'époque. De plus, Marcel Pagnol est le scénariste et le dialoguiste de cette oeuvre ce qui nous offre un cocktail détonnant.


En 1999, Gérard Oury sur le déclin se lança dans un laborieux remake de ce film avec Smaïn dans le rôle titre. Face à ce monument de Marcel Pagnol, ce ne pouvait être qu'un échec total. On peut d'ailleurs s'interroger sur l'utilité de réaliser d'autres versions d'inoubliables trésors du cinéma. Alors surtout, ne vous laissez pas tenter par la version moderne et laissez vous aller au charme incontestable de Monsieur Marcel Pagnol en personne.


Je compte d'ailleurs vous présenter à l'avenir quelques oeuvres dans lesquelles vous pourrez vous rendre compte que Fernandel, à travers son sens comique, pouvait se montrer extrêmement émouvant et pouvait parfois aborder avec beaucoup de talent des situations dramatiques Même si certaines œuvres paraissent aujourd'hui un peu démodées, il reste... Fernandel !

Grard-Rocher
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le 17 déc. 2013

Modifiée

le 1 sept. 2013

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