Le Roi Lion
5.7
Le Roi Lion

Long-métrage d'animation de Jon Favreau (2019)

La nuit, sur les routes de La Manche.
Deux personnes, un conducteur et un covoituré.
Covoituré : Non mais pour 2018, j’ai pris une résolution : c’est d’aller voir que des films que j’ai envie de voir. Parce que l’année dernière, j’ai passé mon temps à accompagner des potes et j’ai vu que des merdes.
Conducteur : Ah ouais ?
Covoituré : Ah ouais, ouais, ouais, ouais, ouais ! Passengers, Split, La belle et la bête, Kong, Alien, Pirates des Caraïbes, Justice League… Justice League, mais quelle horreur ! Ah… Mais pourquoi je suis allé voir ça ? J’y suis allé avec mon frère, c’est lui qui voulait y aller, je savais que ce serait de la merde et je l’ai accompagné quand même. Et je me suis fait chier comme jamais. Quand je suis sorti de la salle, j’ai cru que j’allais vomir des pixels. Genre j’ouvre la bouche et y’a un tas de pixels rouges qu’atterrissent sur le sol et qui ressemblent au ciel du combat final. C’était horrible ! Déjà parce que c’était long à en crever mais aussi parce que c’était moche !
Conducteur : Quand même, parmi ceux que t’as cité, La belle et la bête, il était plutôt pas mal. Enfin moi j’ai bien aimé.
Covoituré : Pas moi. Si je veux voir la version de 91, je regarde la version de 91. Je vais pas voir un copié-collé qu’est même pas bien collé.
Conducteur : Non mais ça passe parce que Emma Watson, ben… Voilà quoi, elle est très belle.
Covoituré : C’est pas un argument, ça. Avec ce genre de logique, tu peux justifier n’importe quoi. Genre Trump, il est raciste, il est sexiste, c’est incapable, il fait des conneries, mais vu qu’il est beau, ça va, ça passe. Enfin, si Trump était beau. Il l’est pas mais enfin… Tu vois le principe. Et puis voir les studios refaire des films aussi forts et aussi importants de manière aussi calibrée, lisse et commerciale, c'est comme si demain y'avait les Kids United qui chantaient La complainte de la serveuse automate. C'est tellement cynique qu'on a envie de leur dire d'arrêter de se foutre de notre gueule.
Conducteur : Ouais. Mais je suis pas forcément contre ces remakes parce que ça m’a toujours traversé l’esprit, si tu veux. Quand je regarde un dessin animé, même quand c’est complètement absurde, je me demande toujours ce que ça pourrait donner en vrai. Je pense que j’irai voir le Aladdin qui sort l’année prochaine. Franchement, il m’att…
Covoituré : Attention !
BBBBBBBBBBBBBBBBBBBBBBBBAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMM
IIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIII
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WWWWWWWWWWWWWWWWWWwwwwwwwwwwwwww…WWWWWWWWWWWWWWWWWWWWWWWWwwwwwwwwwwwww…WWWWWWWWWWWWWWWWWWWwwwwwwwwwwwwwwww…WWWWWWWWWWWWWWWWWWwwwwwwwwwwwww…WWWWWWWWWWWWWWWWWWW...…


F AAAA
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4
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mnmnmnmnmnmnmnmnmnmnmnMNmnmnmnmnmnmnmnmnmnm


Cpcpcpcpcpcpcp.
HrtHrtHrt.


z z z z z… BZT !


Cr Cr Ts Ts
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BZT !


. . . w w w \ \ : s p t t h


…….HHHHHHHHHHHHHHHHHHHHH!!!!!!!!!
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!§!!!!!!!!§!!!!!!!!!!
!!§!!
§


Tssssssssssssssssssssssssssssssssssssssssssssssssssssssssssss
S Clclclclclcllcclcllclcllclcllcc


1 : Clcli ?
2 : ClCLCLCLCLCLCL !!
3 : Bzbzbbzbzbzbbz ?
2 : NnNnNnNn.
3 : Bz BzBz ! Grgrgr ?
1 : Tktktktktktktktktktkt. Hdhdhdh, Rtrt. Nlnl.
2 : LQLQ.
Miiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiib
4 : Svsvsvsv !
1 : Svsv ! Ddddddddddd.
3 : Jh !




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L A M O R T :


POPPOPPOP


DOOOONNNN :
OOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOO
OOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOO
NNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNN


DeepAndDeepAndDeepAndipandipandipandipandipandipandi


-Nununununununu.
-Wowowowowowowowowow.
-hahahaHhahaAAHAHAHAAAAAAAAaaaaaa*AAAAAAAAAAAAAAAAHU*


Aïe.


Tic Toc Tic Toc Tic Toc


CLOCHE


R I E N


Why ?
Why ?
Why ?
$$MEH$$


$. 1 025 467 110 ; 758 539 785 ; 543 514 353 ; 966 550 600 ; 143 695 338 ; 1 263 521 126 ; 99 215 042 ; 350 165 031 ; 961 539 269. $.


$


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C E S T _ L H I S T O I R E _ D E _ L A _ V I E.


C _ S T _ L H I S T O I _ E _ _ E _ L A _ V I _.


C _ _ T _ L _ I S _ O I _ E _ _ _ _ L A _ V I _.


C _ _ _ _ L _ I _ _ O _ _ E _ _ _ _ L A _ V _ _.


C _ _ _ _ _ _ I _ _ _ _ _ E _ _ _ _ L _ _ _ _ _.


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_ _ L _ _ _ _ _ _ I _ _ _ _ _ _ _ C _ _ _ E _ _.


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S A L _ _ _ O _ T I L _ _ _ I _ _ C _ I V E _ _.


S A L _ _ H O S T I L _ _ _ I _ E C T I V E _ _.


S A L E _ H O S T I L E _ D I R E C T I V E _ _.


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On s’impatiente.
« Mesdames et messieurs, les Kids United » annonce un anonyme sur scène.
Les enfants sortent, costumes aseptisés, d’un rideau hémoglobine. Leurs noms sont des grognements proférés par la Foule.
Ils chantent :


J’ai pas d’mandé à v’nir au monde
J’voudrais seul’ment qu’on m’fiche la paix
J’ai pas envie d’faire comme tout l’monde
Mais faut bien que j’paye mon loyer…
J’travaille à l’Underground Café
J’suis rien qu’une serveuse automate
Ça m’laisse tout mon temps pour rêver
Même quand j’tiens plus d’bout sur mes pattes
J’suis toujours prête à m’envoler…
J’travaille à l’Underground Café.


Un jour vous verrez
La serveuse automate
S’en aller
Cultiver ses tomates
Au soleil
Qu’est-ce que j’vais faire aujourd’hui ?
Qu’est-ce que j’vais faire demain ?
C’est c’que j’me dis tous les matins
Qu’est-ce que je vais faire de ma vie ?
Mais j’ai envie de rien
J’ai juste envie d’êt’ bien


J’veux pas travailler
Juste pour travailler
Pour gagner ma vie
Comme on dit
J’voudrais seul’ment faire
Quelque chose que j’aime
J’sais pas c’que j’aime
C’est mon problème


De temps en temps j’gratte ma guitare
C’est tout c’que j’sais faire d’mes dix doigts
J’ai jamais rêvé d’être une star
J’ai seul’ment envie d’être moi
Ma vie ne me ressemble pas…
J’travaille à l’Underground Café
Y’a longtemps qu’jai pas vu l’soleil
Dans mon univers souterrain
Pour moi tous les jours sont pareils
Pour moi la vie ça sert à rien
Je suis comme un néon éteint
J’travaille à l’Underground Café…


Un jour vous verrez
La serveuse automate
S’en aller
Cultiver ses tomates
Au soleil
Qu’est-ce que j’vais faire aujourd’hui ?
Qu’est-ce que j’vais faire demain ?
C’est c’que j’me dis tous les matins
Qu’est-ce que je vais faire de ma vie ?
Mais j’ai envie de rien
J’ai juste envie d’êt’ bien


Un jour vous verrez
La serveuse automate
S’en aller
Cultiver ses tomates
Au soleil


Puis les ténèbres ; ni plus ni moins.


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28 septembre 1931.
Chambre 213, Hôtel Whitcomb, San Francisco.
6h19 du matin.


Elles n’avaient pas pu prendre le Cable Cars.
Elles avaient dû faire le chemin à pied.
La chambre était plongée dans la pénombre. Seul un mince filait de lumière passait à travers les rideaux. Frida fixait le plafond, la tête de Juliet sur son épaule ; une araignée s’y promenait. Elle tournoya pendant plusieurs minutes, cherchant son chemin, puis disparut dans une fente.
Juliet était née à Acapulco et avait dépassé les trente-trois ans le mois dernier. Initiée par sa mère, elle travaillait dans le domaine de la couture depuis ses dix-sept ans et s’était spécialisée dans les vêtements féminins. Au Mexique, elle donnait des cours à qui voulait y prêter un peu d’attention. Elle était de ceux qui comprenaient l’importance de la passion et s’était juré de transmettre la sienne à chacun de ses élèves. Ses cibles étaient ceux, si rares, qui pouvaient apprécier les subtilités de la dentelle ou du tricot. Elle lisait Dostoïevski, Cervantes, Melville et autres. Elle était divorcée, sans enfants et fumeuse à temps complet. Suite à son divorce, elle était partie (pour un temps) aux États-Unis. Ça, c’était ce que Frida avait tenait de sa bouche.
Elle se sentait seule. Ça, c’était ce dont Frida était sûre.
Frida se releva lentement en déplaçant la tête de sa compagne. Puis elle entreprit de se déplacer silencieusement jusqu’à la porte. Un miroir se tenait à sa droite. Un squelette s’y trouvait. Un squelette maigre et couvert de chair pâle, qui croulait sous sa robe de chambre. Un squelette avec des filaments noirs en guise de cheveux. Un squelette qui, s’il se voyait, ne supporterais pas la vue de son propre visage. Elle préféra l’ignorer.
Le salon consistait en une petite pièce de quelques mètres carré aux murs lardés de bandes bleues. Sur l’un d’eux, on avait accroché une petite nature morte (trois pommes à côté d’un panier d’osier renversé). Le sol ressemblait à une mer noire sur laquelle des points blancs flottaient à des distances calculées. Deux fauteuils grisâtres entouraient une table basse sur laquelle Frida avait laissé son porte-document. Le journal de la veille et un vieux Verlaine au papier usé reposait sur un petit meuble à côté d’une vieille lampe. Une radio était posée dans un coin. Juliet avait égayé le décor en y accrochant deux tapisseries achetées au Mexique et en posant sur la mer noire une île ayant la forme d’un grand tapis rectangulaire représentant une mandala aux couleurs vives.
Frida se dirigea vers la fenêtre. A l’extérieur, les bâtiments étaient gris, la route était grise, les passants étaient gris. Dans le ciel, une masse grise. Ce monde était loin des peintures que Diego peignait sur les murs de la Stock Exchange et de la School of Fine Art.
Diego, celui qui n’était pas là.
Elle n’ouvrirait pas la fenêtre, le gris entrerait et elle ne le voulait pas. Car pour la première fois depuis des mois, elle se sentait bien. Elle s’était formé un cocon. Un cocon en soie, comme les chenilles qui veulent se transformer, auquel elle avait ajouté du bois, du métal et de la chair. Elle y avait amené Juliet, seule personne à même de percevoir ses sentiments, qui avait accepté son invitation, puis elle avait bouché toutes les entrées, de manière à ne pas subir les influences néfastes de l’extérieur. A elles deux, elles avaient remplis la paroi intérieure de couleurs vives qui les éclairaient. Leur protection les réchauffait ; elle faisait disparaître tous leurs problèmes. Et elles restaient là, deux mexicaines isolées au milieu d’un monde hostile, protégée par leur armure.
Là-haut, entre les fumées de deux usines, une forme attira son attention.
Un diable se tenait dans le ciel. Son corps était posé sur un nuage de toxines noires nauséabondes qui ne laissait pas voir ses jambes. Dissimulé derrière des cendres, il ne restait du visage que deux points lumineux rouges en guise d’yeux et une bouche ouverte sur un abîme de ténèbres. Des cornes sortaient de la tête immense, pointées tel deux flèches vers Frida. Le corps, massif et épais, était recouvert de braises. On y voyait trous, tubercules, fosses, condyles, glènes, épines et ménisques, comme si l’ossature avait été réduite en miette puis retournée pour être exposée au grand jour. Les bras, épais et gigantesques, étaient écartés pour laisser des mains griffues s’emparer du monde.
Frida tomba en arrière, les coudes sur le sol. Le diable la fixait, et elle le fixait, absorbée par le rouge de ses yeux. Elle allait mourir ici, les yeux dans ceux de ce monstre. Elle serait aspirée violemment par le trou noir qui lui servait de bouche et tomberait, entourée de débris de verre et de traces de gris, dans un abîme sans fond. L’abîme était plein noir, mais là où même le ciel nocturne des pires mégalopoles pouvait posséder quelques étoiles, celui-ci ne présentait aucune forme, aucun contour. Du creux, du vide total. C’était là où finissaient les morts. Ils flottaient autour d’elle, repliés sur leur propre oubli. Leurs couleurs étaient devenues ternes et sans émotions. Leurs corps se fondaient dans la masse noir dégoutante qui constituait ce néant. Quand ils s’approchaient suffisamment, elle pouvait voir leurs visages inexistants, arrachés d’une tête éteinte. Et Frida finirait ici, loin de toute trace de vie, à contempler sa propre décomposition. Adieu Juliet, adieu Diego, adieu Mexique.
Ou pas, car elle n’en avait pas envie. Pour une fois, elle avait trouvé du réconfort. Elle avait connu Juliet, ses envies et ses amours. Elle lui avait montré ses peintures, lui avait parlé de Diego, de ses absences. Et elles s’étaient soutenues mutuellement. Frida décida que même le diable ne pourrait pas lui enlever son moment de bonheur. Alors elle détourna le regard. Pendant de longues secondes, elle fixa une bande bleue sur le mur. Puis quand elle eut enfin le courage de regarder dehors, le monstre avait disparu. Elle se releva, fière d’elle-même.
Elle, Frida Kahlo, avait survécu.


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Les nettoyants Maltunders étaient heureux de vous présenter votre émission favorite, *The Twentieth Show*, et que si vous vouliez vous en procurer quelques-uns, les magasins et les sites de vente spécialisés étaient prêts.
Mike Bennett aussi était prêt.
Les projecteurs l’éclairèrent sur son fauteuil. Il était sur une scène blanche immaculée. La maintenance y avait veillés. A quelques mètres de lui, la Foule.
La Foule était une créature dont on ne percevait jamais les contours. Elle avait mille bouches hurlantes, mille paires d’yeux qui fixaient avidement leur proie, et mille visages qui s’entremêlaient. Malgré sa force évidente, elle restait dans l’ombre, tapie, et préférait voir les autres créatures de la jungle gesticuler comme des insectes. Le pire, c’était l’odeur : le mépris, la violence, la douleur, la haine et l’envie de mort qui s’installait dans les narines de Bennett chaque fois qu’elle apparaissait. Dès que la Foule hurlait, il savait qu’il devait fuir. Il en eut très envie lorsque la lumière s’alluma mais malgré tous ses efforts, il n’y arriva pas.
Il n’y arrivait jamais.
-Mesdames et messieurs, Emma Watson ! annonça-t-il, tout sourire.
La célébrité fit son entrée, robe en faux carré de papier qui ne lui couvrait pas la taille, jupe noire, les cheveux coiffés soigneusement vers l’arrière. *Des cheveux de stars, des cheveux de stars…* selon Bennett. La Foule l’accueillit par un applaudissement (à moins que ce ne fût un grognement) particulièrement enthousiaste. Bennett la salua, puis après quelques échanges rapides, car il était pressé de s’éloigner du monstre, il entra dans le vif du sujet :

« Vingt-six ans après le dessin animé, cette « réimagination » tant attendue arrive sur nos écrans. Comment gérez-t-on la pression d’un tel film ?
-C’est un petit peu de stress car on a envie que les gens qui attendent le film ne soient pas déçus. D’ailleurs, je n’avais pas envisagé qu’il y avait une si grosse attente de la part des spectateurs. Si vous y réfléchissez, La Belle et la Bête, c’est quatre films en un. C’est un film d’action avec des prises de vues réelles. Il y a beaucoup de cascades, on a dû monter à cheval et il y a aussi des combats à l’épée. C’est aussi une comédie. Le sens comique de personnages comme Big Ben, de Lumière et de Madame Samovar est impeccable. Il y a aussi de la romance, c’est un drame romantique ! Et c’est une comédie musicale. Il y a de la musique, de la dance et du théâtre. Il fallait quelqu’un de très spécial pour faire fonctionner tout ça. Je pense qu’on a eu le droit à un réalisateur parfait. »
Bennett estima qu’il avait le droit d’être nerveux. Sans ces caméras qui le fixaient, il aurait pu s’enfuir, courir à toutes jambes jusqu’au point le plus éloigné, s’allonger dans l’herbe verte qui s’y trouverait, dormir pour effacer définitivement les cernes dissimulées sous son fond de teint, creuser un trou, s’y enterrer, y vivre jusqu’au manque de nourriture en attendant qu’on ait fini la traque, sortir, chasser le bœuf, l’avaler façon homme des cavernes, profiter de la liberté retrouvée...
« Le public aura la chance de trouver pour ce film un nouveau casting composé de Dan Stevens, Luke Evans, Josh Gad, Kevin Kline, Ewan McGregor, Ian McKellen, Emma Thompson et même Audra McDonald. A-t-il été compliqué de réunir autant de talents ?
-Ils étaient tous partant dès le début mais aussi inquiets à l’idée de faire un film qui ne soit pas à la hauteur de l’original. Je pense que Bill (le réalisateur) a aussi fait un travail formidable. Tout le monde était très enthousiaste et tout le monde a fait un travail remarquable ! »
Il pensa à ces personnes qui manipulaient caméras, micros et lampes. A eux, la Foule ne leur voulait rien. Ils vivaient tranquillement, récompense pour aider le monstre à traquer ses proies. Ils en étaient issus, il ne fallait pas l’oublier. Ils avaient un jour fait partie de cette masse grouillante qui avalait le monde comme Bennett avalait son steak. Puis ils avaient grandis puis décidé de sortir pour vivre une existence individuelle. Tout ça pour quoi ? Pour nourrir une bête immonde.
Moi aussi.
« De quel moment du tournage vous souvenez-vous le mieux ?
-La scène de la danse. Ce qui est drôle, c’est que d’habitude ce sont les femmes qui portent des talons hauts avec lesquels elles ne peuvent pas danser. Elles ont besoin de quelqu’un pour les tenir. Mais là, c’était l’inverse. J’essayais de soutenir Dan parce qu’il était sur une paire d’échasses pour danser la valse. A plusieurs reprises, je lui ai dit : « Je te tiens ! Je te tiens ! » C’était très drôle. »
Elle rit, et des voix (car la Foule en avait plusieurs) firent de même. Regardez, on rigole nous aussi. Regardez on est comme vous. Vous pouvez nous faire confiance, on ne vous fera pas de mal, on est tous humains non de Dieu !
« Difficile de ne pas tomber sous le charme de cette romance entre ces deux personnages si différents mais auxquels on s’identifie. Comment arrive-t-on à insuffler cette authenticité dans ce genre de relation ?
-Au départ, la Bête et très effrayante et aussi très méchante. Donc Belle ne l’aime pas trop. Mais elle peut voir qu’il est grognon et violent parce qu’il est triste. Elle arrive à percevoir ça. Et elle peut voir qu’au fond, c’est quelqu’un de bien. C’est là que la relation se noue et que les choses s’arrangent. »
La Foule connaissait-elle l’amour ? Deux fois marié, deux fois divorcé, Bennett n’avait pourtant jamais su si elle se reproduisait elle-même ou si elle se trouvait un comparse pour s’accoupler. D’abord les marées se déchainaient, puis les intérieurs se mélangeaient obstinément car ici tout le monde déraille et c’est comme ça qu’on s’aime mais mon Dieu il avait oublié que toutes les cellules d’un corps formaient un tout et il avait bien raison de s’en souvenir car c’était un élément essentiel pour comprendre le sens des êtres dans la salle.
« Tout le monde aime souligner les ressemblances entre Hermione et Belle, qui sont toutes les deux studieuses et fougueuses.
-Il y a cette étrange symétrie entre les deux. J’ai toujours pensé qu’elles étaient sœurs. Ce que j’aime beaucoup, c’est qu’elles sont le mélange parfait de la raison et de la générosité. Nous avons terminé le tournage de La Belle et la Bête l’anniversaire de jour où j’ai été choisi pour le rôle d’Hermione. Pour un acteur, c’est déjà formidable d’avoir la chance de jouer un personnage emblématique. Sans parler du fait qu’Hermione était mon modèle étant petite. Mais d’avoir l’opportunité d’en jouer deux… Je ne sais pas combien d’acteurs ont la chance de pouvoir faire ça dans leur carrière. Je me sens extrêmement reconnaissante d’avoir eu la chance de pouvoir le faire. »
Le studio était asymétrique. La scène était envahie par tout le reste, comme un lapin piégé au fond d’un terrier. Les chiens hurlaient de l’extérieur. Puis les gueules hérissées de dents battaient l’air, tout prêt de la pauvre créature. Des dents noires, avec un objectif au bout pour capturer le moment.
« Certains disent que La belle et la bête n’est qu’un remake de plus. Qu’en pensez-vous ?
-Nous avons tout fait pour nous démarquer. On sait que Belle adore lire et voyager, mais nous voulions lui donner un côté travailleur et bricoleur. Dans le dessin animé, Maurice est l’inventeur, mais ici c’est Belle qui est en avance, qui innove et qui invente de nouvelles choses. C’est une idée que j’ai adorée ! Dans ce film, Belle enseigne aussi. Elle n’aime pas seulement lire pour elle-même, elle veut aussi transmettre cet amour. Elle aime partager les choses qu’elles trouvent spéciales et intéressantes. Et j’ai aimé cette envie de partager. Elle a aussi une nouvelle chanson. C’est vraiment beau. On parle un peu de son passé, et on voit ce qu’elle faisait avant de rencontrer la Bête. J’ai trouvé ça agréable de rajouter ce genre de détails que nous n’avions pas avant. On ne comprenait pas vraiment pourquoi Belle était aussi étrangère par rapport au village. Ici, c’est plus clair. »
AvalezAvalezAvalezAvalezAvalezAvalezAvalezAvalez…
Oui avalez-les tous, comme aurait dit…
Et elles mangeaient bien, ces bouches affamées. Ceux qui les créaient, allez savoir qui, s’en assuraient.
« Il y a eu plusieurs versions de La Belle et la Bête et il y a beaucoup de critiques qui disent que Belle est dans une relation violente, type Syndrome de Stockholm. Que répondriez-vous à cette inquiétude ?
-C’est une question très intéressante à laquelle je me suis confronté dès le début. Le syndrome de Stockholm, j’ai beaucoup lu à propos de ça. C’est le développement étrange de sentiments amoureux vis-à-vis de son geôlier. Belle va continuellement se disputer avec la Bête et ne pas être du même avis. Elle n’a aucun symptôme parce qu’elle garde son indépendance d’esprit. Je pense qu’il y a un véritable déclic lorsque Belle choisit de rester. Elle combat le mal par le mal. Il la frappe et elle le frappe encore plus fort. Avec Bill, nous avons tout fait pour éviter… »
Elle s’interrompit. Tous les appareils du studio s’arrêtèrent en même temps. Quelque chose au-dessus d’elle attira son attention. Quelque chose de tellement important que même la Foule prit la peine de lever ses innombrables yeux.
Un diable, la tête au-dessus de la scène, le corps au-dessus des gradins, dominait le studio. Il contemplait toute la pièce et les deux points de ses yeux illuminaient Mike de leur lumière rouge. Oui, pensa-t-il.
Oui, il avait trouvé une solution. Oui, il allait être libre. Il allait fuir les monstres, la peur et l’horreur. La raison de sa fuite, elle était là et elle l’observait. On ne pourrait rien lui reprocher, rien lui dire, car un démon était sans équivoque. Pauvre type, mais que peut-on faire si l’on ne peut pas résister à ses démons ? Rires témoignant de l’incompréhension total du problème. Et cette Foule, cette saleté qui l’obsédait, ne pourrait plus rien lui faire. Il le voyait déjà, ce calme total et réconfortant. Autour de lui, il n’y aurait qu’un noir infini où personne ne pourrait plus le voir ni l’attaquer. Il vivrait seul, sans peur et rirait continuellement en pensant à la chance qu’il avait eue ! Alors il accueillit pleinement le diable, qui l’effaça, ainsi que le plateau.
Ne restèrent que deux monstres, les yeux dans les yeux.
Puis il n’y eut plus rien.

WatchFox
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le 17 juil. 2019

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le 19 juil. 2019

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