Georges Leroi est un brave type qui se définit lui-même comme un con.Il accumule des emplois subalternes qu'il est incapable de conserver très longtemps,c'est ce qu'on appellerait aujourd'hui un loser.Sauf qu'il a un talent particulier,celui de débiter à la chaîne des déclarations d'amour enflammées qui lui permettent de tomber toutes les filles et de se constituer un véritable harem.Jusqu'à ce qu'il rencontre Sophie,cadre dans un institut de sondage.Le film est adapté des bandes dessinées de Georges Wolinski,qui signe également le scénario et les dialogues.Ces planches avaient déjà été portées sur les planches puisque Wolinski et Claude Confortès,metteur en scène de théâtre,en avaient déjà tiré une pièce.Confortès,dont c'est la première réalisation,était un proche de l'équipe des journaux Hara-Kiri et Charlie-Hebdo.D'ailleurs,il ne fera que deux autres films,adaptés aussi de BD de dessinateurs travaillant pour ces périodiques,"Vive les femmes" en 84,d'après Reiser,et "Paulette la pauvre petite milliardaire" en 86,autre oeuvre de Wolinski.Ce dernier faisait partie de la rédaction d'origine de Hara-Kiri dès 1960 et participa à la création de Charlie-Hebdo en 70.Et il y était encore en janvier 2015,quand il périt avec ses collègues sous les balles des frères Kouachi,Cabu et lui étant les seuls membres historiques du groupe à être toujours présents.Le personnage de Leroi ,comme par hasard prénommé Georges,est clairement un démarquage de son créateur,sorte d'anarchiste paillard dont les dessins suintent l'obsession sexuelle mais qui,dans le même temps,pratique et prône en privé le mariage et la fidélité.D'où les errements sentimentaux du héros,à la fois serial baiseur et romantique fleur bleue,qui est bizarrement sincère avec chaque nana qu'il drague.C'est une problématique qui touche d'ailleurs la plupart des hommes,tant il est ardu de concilier sexe et grand amour durable.Le fossé à combler se matérialise entre le refrain machiste chantonné par Leroi et ses tirades charmeuses,souvent ringardes mais parfois très belles.Techniquement,on n'est pas au top.Il y a des chutes de rythme,de l'humour daté,des comédiens souvent contraints de surjouer pour relayer des situations excessives,mais ce n'est pas grave car l'essentiel est ailleurs.A sa sortie,"Le roi des cons" était une comédie trash très amusante mais acquiert,avec le recul,une dimension sociologique passionnante et visionnaire.On est d'emblée charmé par ce qui est un document racontant une époque révolue.Il y a une usine,une classe ouvrière,des syndicats,choses presque disparues depuis.Il y a des gens qui picolent de l'alcool à n'importe quelle heure,ce qui est très mal.Il y a des enfants qui vendent des timbres pour lutter contre des maladies,souvenirs,souvenirs.Et des flics qui vous interrogent parce que vous avez été photographié au milieu d'une manifestation gauchiste,putain c'était le bon temps.Mais il y a surtout un témoignage incroyablement lucide sur les basculements alors à l'oeuvre et qui impactent violemment la société actuelle.Sur un plan politique d'abord.Nous sommes en 81,année de l'élection de Mitterrand,et les dérives que dénonce Wolinski vont paradoxalement s'intensifier avec la gauche au pouvoir.Nous assistons ici aux prémisses des ravages du capitalisme et du matérialisme forcené.Les populations ne sont déjà plus envisagées que comme des réservoirs de consommateurs.La publicité se fait envahissante et l'intrusion des sondages dans la vie de tout un chacun annonce la marchandisation à outrance qui suivra.Car l'individu lui-même est en train de devenir une marchandise.Les corps sont affichés sur tous les murs,mais ça ne s'arrête pas là car l'intimité est aussi destinée à être exploitée.Sophie enregistre et commercialise la déclaration d'amour bouleversante que lui fait Georges,tout est susceptible de générer de l'argent,ce qui annonce largement à l'avance les réseaux sociaux,la télé-réalité et autres joyeusetés.Du reste,Leroi finira par se proposer à la vente aux enchères,à poil au milieu d'une place.Et le film va plus loin encore en prédisant l'avènement de l'homme et de la femme modernes.Navigant entre misogynie et féminisme,les auteurs nous montrent l'interversion qui s'opère.Sophie est la nouvelle Eve,celle qui séduit,celle qui prend les initiatives,celle qui commande,celle qui s'arroge les attributs traditionnellement masculins.Elle se différencie en cela du modèle féminin d'avant,celui de ces midinettes naïves qui se pâment quand un mec leur joue du violon,les conquêtes précédentes de Leroi.Georges est celui qui abandonne peu à peu son statut de Don Juan,qui obéit à sa femelle dominante,préfigurant le mâle émasculé d'aujourd'hui.Le rapport de force est en train de changer et continuera à évoluer par la suite,ce qui est ironiquement souligné par la scène finale qui voit madame brailler au milieu d'une manif de suffragettes tandis que monsieur la regarde passer en tenant les gosses dans ses bras.Le film est finalement une ode,un tantinet désabusée,au couple et à l'amour éternel,et pas la comédie sexy qu'elle semble être en surface,ce qui est surprenant venant d'anars obsédés par la bagatelle,et qui est symbolisé par la conclusion émouvante de la fameuse déclaration de Georges:"je t'aime comme on n'a jamais aimé,comme on aimera toujours,même avec un ordinateur dans le cul".Ceci dit,on joue aussi la carte de l'érotisme et de l'humour.Francis Perrin et la plupart des actrices sont complaisamment dénudés et certains gags sont franchement drôles.Confortès a réuni une distribution de folie,qui comprend plusieurs membres d'Hara-Kiri comme Wolinski en personne,Gébé,et le célèbre Professeur Choron flanqué de sa femme Odile Bernier et de sa fille Michèle Bernier.On a oublié de nos jours que Perrin a été une immense vedette comique.Pourtant,à l'époque,c'était un des rois du one-man-show,et il a connu une carrière de star de cinéma,qui ne fut cependant pas très longue,allant même jusqu'à réaliser trois films dans lesquels il tenait le premier rôle.Il retournera ensuite au théâtre.Ici,son air ahuri imperturbable et la sympathie qu'il dégage se fondent à merveille dans le personnage de Georges.Il est affligeant que sa partenaire,la sublime Marie-Christine Descouard,n'ait pas duré au ciné.Cette actrice belle,sensuelle et douée,méritait assurément mieux que quelques apparitions secondaires dans des belmonderies telles que "Le professionnel" ou "Joyeuses Pâques".Le casting féminin est riche en beautés et compte dans ses rangs Bernadette Lafont,Evelyne Buyle,Fanny Cottençon,Fiona Gélin,la sculpturale danseuse noire et chauve Lisette Malidor et Sophie Agacinski,épouse de Jean-Marc Thibault et belle-soeur de Lionel Jospin.Côté poilus,on a Maurice Baquet,Jean-Marc Thibault,Roland Giraud,Luis Rego,Michel Aumont,Bernard Haller,Jean-Paul Farré,rien que du bon,et en prime le réalisateur Claude Berri,le décorateur Alexandre Trauner et le dramaturge Eugène Ionesco.Sans oublier Patrick Font,qui a peu travaillé au cinéma et vaut qu'on s'attarde sur lui.Il forma longtemps un duo de chansonniers assez connu avec Philippe Val,futur patron de Charlie-Hebdo,avant de devenir chroniqueur dans des émissions de radio et de télé de Laurent Ruquier.Mais ça s'est mal terminé quand il a créé une école de spectacle en Savoie et qu'il a été condamné pour attouchements sur mineurs,faits commis sur ses élèves et qui lui ont valu quelques années de taule.Eh oui,encore une grande figure de l'extrême-gauche et du spectacle qui,après avoir fait la morale à tout le monde est convaincue d'agissements criminels.Notons que Font a débuté en tant qu'instituteur,un milieu où abondent les pédophiles,ce qu'il faut rappeler au moment où on se focalise sur l'Eglise.Voir ce film maintenant permet aussi de mesurer les méfaits du temps qui passe.Beaucoup des protagonistes sont morts et Perrin fait désormais un peu pitié en vieux juge dans la série "Mongeville",alors que Michèle Bernier,si mignonne en 81,doit maintenant s'habiller en taille 81.La chanson du film est interprétée par Nicole Rieu,charmante chanteuse d'antan complètement passée à la trappe.

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le 8 mars 2019

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