Figurant parmi ces œuvres suscitant une fascination inassouvie, Le Règne du feu m’aura pendant longtemps fait du pied. Car sitôt que nous fassions fi de ses véritables prétentions, ou de ses moyens dépareillés, son pitch se suffisait à lui-même… pensez donc ! Des dragons surgissant des tréfonds pour réduire à feu et à cendres une humanité prise de court, soit le socle d’un mash-up plausible comme improbable de post-apo, fantastique, aventure et j’en passe et des meilleures.


Mais comme bon nombre d’œuvres au fort potentiel, Le Règne du feu a tout du projet tronqué : la faute à une production relativement modeste, encore que ses soixante millions de dollars constituent une base correcte, mais surtout à une ambition au rabais palpable. L’écueil de la résolution totale en moins de deux heures top chrono abonde en ce sens, nonobstant la perspective avérée d’un séquel rapidement annulé : visiblement désireux de tout faire tenir en un « petit » film, ses scénaristes auront donc accouché d’une intrigue condensée à l’extrême, sacrifiant sur l’autel de l’efficacité (toute relative) cohérence malingre et prise de risque minimale.


Pourtant, le long-métrage de Rob Bowman, plus connu pour son travail sur le petit écran, n’est certainement pas dénué d’intérêt : pour preuve, il subsiste en son sein ci et là des idées et une atmosphère particulière, suffisamment de quoi ébaucher ce qu’aurait pu être une entrée en matière probante. Hélas, cette savoureuse sève que nous devinons sera survolée : l’ancrage dans la réalité au détour d’une représentation de L’Empire contre-attaque, sommet de pop-culture moderne s’il en est, souligne fort bien le positionnement astucieux qu’opère le récit. Son cadre résolument médiéval et ses atours « chevaleresques », sans compter les fameux dragons, conduit ainsi le spectateur au-devant d’un tableau anachronique captivant.


Tirant profit des paysages irlandais, Le Règne du feu s’en tient ainsi naturellement au sol britannique pour rendre compte d’un nouvel ordre, où d’éparses communautés survivent au jour le jour : la relative rareté des décors se mue alors en un paradoxe avantageux, ce carcan et les promesses induites de ce monde remodelé attisant notre curiosité. L’épopée sera toutefois des plus brèves, l’intrigue se voyant contrainte de pondre un deus ex machina afin de compenser le caractère inextricable de sa propre diégèse : marqué du sceau du déséquilibre le plus total, son postulat plaçait à ce titre l’humanité aux portes d’une extinction inévitable… mais comme il faut tout résoudre en un temps record, placez-y donc un unique mâle et voici que la race des dragons peut être occis en un tour de main.


C’est un peu gros, convenons-en, mais gageons que là était sa seule échappatoire dans de telle conditions. Nous pourrions surtout regretter la forme qu’y mettra Le Règne du feu, ce même en outrepassant ses limites matérielles et graphismes tout au plus corrects : car plus le récit avance, et plus celui-ci aura à cœur d’enquiller de bien vilains archétypes, à l’image de ce suicide nocturne allant à l’encontre de principes pourtant essentiels, ou encore l’infiltration sans encombre de Londres jusqu’à ce fameux climax où le dragon, soudainement impotent, anéantira toute notion de menace. Ses élans subtils et son ambiance dépressive pâtissent aussi d’outrancières séquences, la plus notable étant sans surprise ce saut de l’ange invraisemblable de Van Zan.


Ce dernier nous enjoint pour terminer à aborder la question des protagonistes, ceux-ci étant symptomatiques des forces et faiblesses du tout : le chasseur de dragon, campé par un Matthew McConaughey convaincant, oscille ainsi entre zèle lassant et intensité faillible (dans le bon sens du terme), et convoque une opposition idéologique pertinente avec Quinn, figure davantage unidimensionnelle mais indispensable à la bonne tenue des événements. Le reste de la galerie ne réserve que quelques seconds rôles peu marquants, si ce n’est un Creedy ayant la fâcheuse manie de tout sur-commenter… son trépas ne nous fera d’ailleurs ni chaud ni froid.


Drôle d’oiseau que ce Règne du feu donc, lui qui pèche de par son ambition au ras des pâquerettes mais réserve de « belles » envolées ; sous un vernis grisâtre de prime abord guère engageant, sa photographie cendreuse aux allures de fin du monde saura peut-être vous envoûter par intermittence.

NiERONiMO
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le 19 avr. 2020

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