Le premier film d’Iris Kaltenbäck tient d’une rencontre, celle d’un fait divers et de Marguerite Duras. Le fait divers : c’est une jeune femme qui emprunte l’enfant de sa meilleure amie et qui fait croire à un homme qu’elle en est la mère. Duras : c’est Le ravissement de Lol V. Stein qui a marqué Kaltenbäck, alors adolescente, où une femme dénie son chagrin amoureux, habitée alors par "l’étrange omission de sa douleur" (et puis le film, pareil qu’au roman, laisse la voix d’un homme raconter les faits, tenter de "comprendre" la femme qu’il a aimé). Ces mots-là donc, ces mots de Duras, sont précisément ceux qui vont bien à Lydia, qui lui collent, sage-femme passionnée par son métier, discrète, un peu mélancolique on dirait, un peu taiseuse parfois. Et, lors de la scène d’accouchement de Salomé, sa meilleure amie, guidée par une sorte de ressentiment tapi derrière un entêtement équivoque, à la limite du danger.

Lydia souffre d’un réel qui l’abîme, la fragilise, paraît la déposséder de tout et que les autres ont, autour d’elle, de ces normes qu’une société impose, attend de nous, et que ses mensonges apaiseront, inventeront, réinventeront même, jusqu’à l’indicible, l’irrémédiable bien sûr. C’est une succession d’événements, telles des cassures en elle (une rupture avec son petit ami, un cœur brisé, une solitude tenace, l’annonce de la grossesse de Salomé, cet homme, Milos, qu’elle a rencontré mais qui ne veut pas s’engager dans une relation sérieuse), qui va la mener là, à s’engouffrer dans la mystification. À dire à Milos qu’il est le père de sa fille qui est celle de Salomé, et pouvoir vivre avec lui, par ce biais, ce qu’elle désire chez ces autres couples, ces autres gens. Pouvoir construire une image d’elle-même qui correspondrait à ces désirs.

Lydia perd pied, subrepticement. Ça ne se voit pas, et parce que Lydia intériorise à fond, mais ça se devine. Kaltenbäck passe d’ailleurs à la trappe la moindre explication psychologisante, un trop d’analyse (et de jugement) : tout est à déceler chez Lydia, dans son visage et ses regards, dans ses silences et ses attitudes. Ce visage, c’est celui d’Hafsia Herzi, en état de grâce. Hypnotique et troublante, elle fait de Lydia une femme-énigme, complexe, dont on sent à chaque instant le manque profond, d’affection, de présence, d’amour fou… D’autre chose peut-être, mais quoi ? Kaltenbäck, au fil d’une mise en scène maîtrisée et douce qui ne cherche jamais à dramatiser le récit, l’observe dans sa dérive sociale et sentimentale, mais surtout vers un intime inconnu. Un apaisement, enfin.

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mymp
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le 18 oct. 2023

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mymp

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