un film très patriote et un film qui a le bon goût de ne pas l’être

La vieillesse a du bon. On se bonifie avec l’âge, dit-on. C’est le cas de Steven Spielberg : un bon cru dès le départ donne un aujourd’hui un très grand cru.


Ce Pont des Espions est à la fois un film très patriote (la justice, la démocratie, l’honneur américain) et un film qui a le bon goût de ne pas l’être. Ici, ce n’est pas tant le talent de Spielberg que nous louerons, c’est sa subtilité et sa sobriété. Pas le Spielberg d’Amistad, d’Always, du Cheval de Guerre, mais celui de Munich, de Lincoln, de la Liste de Schindler.


Le Pont des Espions, c’est l’apogée d’un certain cinéma classique, où l’on prend le temps d’esquisser ses personnages sans céder à aucune facilité. Là où un jeune Spielberg aurait appuyé ses effets, le vieux Spielberg les tient à distance.


Comme d’habitude, il défend les valeurs de la parole donnée, de l’honnêteté, de la justice due à tout monde. Même à son pire ennemi, même quand on est en guerre, même quand on est au bord de l’apocalypse nucléaire.


Spielberg touche là un nerf particulièrement à vif de l’idéal américain. Peut-on rester une démocratie alors que l’on est en guerre ? Doit-on au contraire réduire nos libertés, mettre en veille nos idéaux, confier nos intérêts au meilleurs, le temps de rétablir la paix ? Doit-on rester Athènes, ou devenir Sparte ? Ce questionnement irrigue la Guerre d’Indépendance, la Guerre de Sécession, la Seconde Guerre Mondiale, puis le Vietnam et aujourd’hui la Guerre contre le Terrorisme. Le cinéma américain reflète ces débats, de USS Alabama à 300, de Battlestar Galactica à 24, de Lincoln au Pont des Espions.


La réussite du film tient tout autant à son casting. Tom Hanks est parfait, mais c’est évidemment un film fait pour lui. La performance est plutôt du côté de l’espion russe, que Spielberg rend sympathique grâce à Mark Rylance. Tout en castant un parfait inconnu, Austin Stowell, dans le rôle de Gary Powers le pilote de l’U2 qui n’a pas eu le courage « américain » de se tuer plutôt que de se livrer, et que Spielberg réhabilite dans la dernière ligne droite. Au contraire, il met dans un rôle censément moins important (l’ami de Powers) le sympathique et connu Jesse Plemons (Landry dans Friday Night Lights).


Comment mieux dire que Gary Powers n’est pas le héros de cet histoire ? Même si, en tant qu’homme, il vaut mieux survivre ? Que l’espion russe vaut autant que lui, peut-être même plus ?


Tout Spielberg est là-dedans : une parfaite compréhension, et une complète empathie, pour l’âme humaine. Et le refus des mouvements de la masse, anticommuniste ou raciste, prête à se trouver n’importe quel bouc émissaire… Dans ces périodes troubles, quand les forces sociales vous poussent au pire, seule la fermeté des valeurs permet de tenir le cap dans la tempête.


Même si les valeurs ne gagnent pas toujours, à l’image de la fin douce-amère du film, qui rappelle tout autant Munich que Zero Dark Thirty.


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ludovico
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le 14 févr. 2016

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