L'Allemagne déleste
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Après son biopic sur Abraham Lincoln et en attendant de réaliser son adaptation du roman de Daniel H. Wilson, Robopocalypse, Steven Spielberg nous revient avec Le Pont Des Espions, un film retraçant un épisode réel de l'histoire américaine. Le film nous plonge dans la Guerre Froide, alors que les USA et l'URSS se livrent une course à l'armement atomique. James Donovan (Tom Hanks, comme toujours très convaincant), avocat au barreau de New York, se voit alors commis d'office pour défendre Rudolf Abel, espion soviétique récemment démasqué. Ayant gagné la confiance d'Abel et prouvé ses capacités de négociateur en lui évitant la peine de mort, Donovan se voit alors confier une mission bien plus délicate : effectuer un échange entre Abel et un soldat américain, en pleine Allemagne de l'Est.
Conteur d'histoires, habitués aux scénario inspiré de faits réels, Spielberg livre un film profond, maîtrisé et passionnant. Certes académique, sa mise en scène n'en est pas pour autant moins efficace : chaque plan est parfaitement millimétré, chaque mouvement de caméra judicieusement choisi, le tout pour une idée principale : la compréhension.
La clarté, voilà en effet ce qui ressort de ce Pont Des Espions. Bien que s'appuyant sur des données géopolitiques parfois ardues, le film ne laisse jamais son spectateur de côté, réussissant l'exploit de rester clair et lisible en toutes circonstances, alors même que les enjeux dépassent les personnages comme les spectateurs. La mise en scène de Spielberg parvient à dynamiser les joutes verbales entre Tom Hanks et les autres protagonistes (et autant vous prévenir, cela constitue 90 % du film). De plus, le cinéaste ne manque pas d'audace, en témoigne cette ouverture sans musique et quasiment sans dialogues ; un choix inattendu mais judicieux, car il laisse l'ambiance du New York de l'époque nous plonger dans l'histoire, tout en maintenant une certaine tension.
Le reste du film n'est pas en reste, et tous les aspects de l'oeuvre sont de grande qualité : le scénario est prenant et ne tombe que rarement dans le pathos, la patte des frères Coen se faisant parfois ressentir (notamment à travers le comique pince sans-rire de certaines séquences). Seul bémol pour la musique, malheureusement en deçà de mes attentes, Thomas Newman livrant probablement sa composition la moins forte.
Mais là où Le Pont Des Espions prend tout son sens selon moi, c'est dans l'image qu'il donne à voir du personnage de Tom Hanks. A la manière de Frank Capra, illustre cinéaste du Hollywood classique des années 30-40, Spielberg dresse le portrait d'un "héros ordinaire", croyant avec ferveur dans les idéaux de l'Amérique des origines et qui se heurte à l'idéologie communiste, mais aussi et surtout aux autres américains (notamment le juge qu'il affronte durant le procès d'Abel), ceux-là même qui ont perverti les grandes valeurs de l'Amérique. On pourrait presque y voir un pastiche de Mr Smith Au Sénat, oeuvre fondatrice du cinéma de Capra et qui s'articule autour de la même idée. En témoigne cette scène de milieu de film, conçue comme un point de bascule dans le récit : Spielberg nous montre une classe récitant avec entrain le serment d'allégeance au drapeau américain (et son mythique "with liberty and justice for all"), réunissant dans le même cadre enfants, institutrice et drapeau aux couleurs flamboyantes. Puis vient alors une coupe d'une extrême brutalité, nous montrant les essais nucléaires américains dans le Pacifique. Tout est dit...
Steven Spielberg ne se contente donc pas de livrer un film historique sur la Guerre Froide, mais va bien au-delà de ça : il livre en effet son point de vue sur cette époque sombre, fuyant le manichéisme et briguant une certaine honnêteté dans le portrait qu'il dresse de l'Amérique dans laquelle il a grandi. De plus, il trouve dans cette histoire de quoi développer sa grande thématique, son leitmotiv : celui de l'homme qui, dépassé par les enjeux de sa situation va devoir réagir dans l'urgence, presque instinctivement. Alors certes, la facture profondément classique de ce film rebutera sans doute les moins nostalgiques d'entre nous, mais en ce qui me concerne, le pari est réussi.
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Créée
le 6 déc. 2015
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