Tu entres dans ce Wilder par la fenêtre entrouverte, subrepticement, comme dans une toile de Hopper. Invité malvenu, indiscret, tu te glisses dans la valise de cet écrivain alcoolique et tu prends part à son cauchemar. Tu visites les bars de la 3ème avenue, tu traînes désespérément de boulevards en ruelles en quête de la flasque qui te sauvera de la folie, de cette mort cérébrale qui t’attend au bout du tunnel. Tu évolues sur le fil ténu de ta santé mentale vacillante, un verre de plus un verre de moins et tu sombres à jamais, tu t’écrases du haut de l’empire state building et personne ne pleurera la disparition d’un écrivain qui n’a rien écrit.

Comme dans un grand Hopper, tout se joue pourtant en hors-champ, dans le monde inconnu qui t’est suggéré en marge de cette fenêtre, qui est laissé à ton imagination. Mais tu pénètres plus avant, toujours plus indiscret car Wilder se veut poignant, immersif et terriblement réaliste. Car le cinéaste colle sa caméra inquisitrice à la toute dernière goutte quittant le goulot maudit, venant mourir dans ce verre assassin. Tu te noies à ton tour dans l’alcool qui délivre. Il ouvre les portes de ton quotidien morose, te fait rêver d’horizons lointains, de princesses et de fleuves fantasmagoriques. C’est le temps des douces illusions, du rêve éveillé.

Tu t’égares alors, visiteur malsain, fureteur obsessionnel. Tu t’égares dans la psyché de ce déchet prêt à tout pour sa dose. Si normal par ailleurs, terrifiant d’humanité. Tu trembles un peu, tu délires et c’est l’horreur qui s’installe et dénature le tableau et c’est la descente aux enfers, interminable, pénible, d’une rare pertinence qui se joue sous tes yeux trop curieux.

Fort heureusement, c’est l’époque qui veut ça, voilà le soleil qui revient et avec lui promesses de salvation, amour plus fort qu’addictions et bla…bla…bla. Sauvage retournement de situation pour le moins mal venu, tout au moins vite venu. Un messager divin plus que providentiel, un amour inconditionnel, bouclées les valises, vidées les poubelles, déchargées les armes. Sevrage brutal qui est semble-t-il la seule et unique issue.

Te voici chamboulé, retourné, toi de passage qui n’attendais pas une telle pirouette finale. Tu te retires à pas feutrés, pensif, par la même fenêtre qui t’a vu entrer, déçu par l’apogée, tu portes cependant un regard vague sur cette ville, ses fenêtres entrouvertes, leurs secrets. Tu élargis le spectre du bref weekend de la vie d’un inconnu, tu penses aux secrets ordinaires tapis derrière ces fenêtres, tu prolonges le hors-champ vers l’océan urbain qui t’entoure.

http://www.artliste.com/edward-hopper/chambre-new-york-349.html
-IgoR-
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le 22 févr. 2015

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