Cette critique contient des spoilers.

Introduction


Peu de films furent aussi méprisés que Le Parrain III. Et s'il fut peu à peu réhabilité au fil des années, ce troisième chapitre de la saga Corleone demeure considéré comme le maillon faible de la trilogie, un opus faiblard n'égalant jamais la maestria des Parrain I et II. Pourquoi ? Nul ne saurait réellement le dire, mais… c'est comme ça. Et bien non ! Le Parrain III est bien plus profond et intéressant qu'on le prétend et voilà pourquoi.

Retour sur la saga du Parrain


En 1972, Francis Ford Coppola accepte de réaliser pour la Paramount Le Parrain, avec Marlon Brando et Al Pacino dans les rôles principaux. La suite vous la connaissez. Le Parrain fut un véritable carton public comme critique. Il est aujourd'hui considéré par certains comme le plus grand film de l'histoire du cinéma. Fort de son succès, Coppola remet le couvert deux ans plus tard avec Le Parrain II. Le triomphe est une fois de plus au rendez-vous. Il est aujourd'hui considéré comme la meilleure suite de l'histoire du cinéma. En 1990, Coppola fait face à d'importantes difficultés financières qui le force à accepter plusieurs projets de studios. Il est alors contacté par la Paramount qui désir relancer la saga du Parrain en lui offrant un troisième volet. Considérant n'avoir rien à rajouter à cette saga mythique, Coppola décline dans un premier temps la proposition avant d'accepter. La production sera tumultueuse pour Coppola qui doit faire face à la censure ainsi qu'aux équipes de la Paramount dont la conception du film diverge de la sienne. Coppola se voit alors contraint à plusieurs compromis (Ex: montage). Le Parrain III est au final un semi succès, et si le film est nominé dans plusieurs catégories aux Oscars et aux Golden Globes, il ne décroche aucune récompense. Depuis, le film est régulièrement considéré comme le canard boiteux de la saga.

Synopsis


Il est arrivé à ses fins en blanchissant ses affaires mais a perdu sa famille. Vieillissant, malade, il se questionne sur le sens de son existence, sur le bien-fondé de ses actes, sur la raison qui l'a poussé à faire couler le sang. A l'automne de sa vie, une seule chose lui importe désormais: se réconcilier avec sa femme, ses enfants, sa conscience, la vie, avec l'espoir de reformer l'unité familiale qu'il avait connue jadis.

Analyse


Avec Le Parrain III, Francis Ford Coppola nous propose un nouveau chapitre du roman des Corleone. Un chapitre plus intimiste, davantage concentré sur le personnage de Michael. L'eau a coulé sous les ponts depuis les évènements du deuxième film et a poli le roc, le Michael impitoyable et froid du Parrain II fait ainsi place à un personnage plus mesuré, réfléchi, raisonnable mais tout aussi - si ce n'est davantage - torturé. Les jours heureux de la famille Corleone sont révolus comme l'illustrent à merveille les premiers plans du film nous montrant l'ancienne maison de famille (Lac Tahoe) abandonnée, en proie aux caprices de la nature. Coppola use dès qu'il le peut d'une narration visuelle, à l'image de la cérémonie durant laquelle Michael se voit remettre un distinction papale. Une scène ayant pour principale vertu de nous faire comprendre la position du personnage dans le film. Il est au sommet de sa vie, il a enfin accompli ce en quoi il croyait depuis tant d'années, à savoir rendre les affaires de la famille Corleone légales. Pour autant - si l'église semble comble - il se dégage du personnage de Michael un profond sentiment de solitude et de culpabilité, et pour cause, la scène le hisse quasiment au rang de Saint, lui qui n'aura su que rependre le sang, le mal et la mort autour de lui, divorcé de sa femme, père absent et assassin de son frère. Michael est submergé par les remords, lui qui depuis la mort de son père aura tout fait pour maintenir l'unité de la famille et la protéger sans y parvenir. Pour les nombreux détracteurs du Parrain III, il me semble important de préciser que la prise de conscience de Michael n'est pas une nouveauté, comme le prouve cette scène particulièrement émouvante du Parrain II au cours de laquelle un Michael dans le doute demande à sa vieille mère s'il est possible de perdre sa famille. Cela prouve - pour ceux qui en douteraient encore - la pertinence de ce troisième volet qui s'avère être plus encore qu'une banale suite, le prolongement logique de la saga.

Francis Ford Coppola appuie encore une fois dans ce troisième film le parallèle avec Vito Corleone. En effet, à l'image des deux premiers volets (en particulier Le Parrain II), s'il n'est pas ou rarement évoqué verbalement, le parallèle entre Michael et son père s'établit de lui-même tant l'aura et la sagesse de celui que l'on appelé Le Parrain étaient grandes. Lui qui aura toujours su concilier les affaires et la famille. Un père à la présence écrasante, synonyme de prospérité et de bonheur pour la famille Corleone. Un père auquel Michael ne cessera de vouloir ressembler, souvenir pesant d'une époque bénie qui confronte Michael à son propre échec. Une scène en particulier illustre ce parallèle: Don Tommasino - grand ami de Vito - est mort. Michael - s'étant réfugié chez lui durant les événements du Parrain I - vient lui rendre un dernier hommage, s'assoit auprès de sa dépouille et pour la première fois, se confie réellement: "Pourquoi étais-je tant redouté Don Tommasino, et vous tant aimé ? J'étais tout aussi honorable. Je voulais le bien." S'il se confie à Don Tommasino, l'on devine que ses mots sont tout aussi destinés à son père Vito. Au fond, Michael ne peut se détacher de la présence évanescente de son illustre père qui plane sur les trois films. Tant et si bien que chaque prise de décision de Michael entraîne inévitablement chez le spectateur la question suivante: "Son père aurait-il agit de la même manière ?". Ce parallèle le suivra jusqu'à sa mort. En effet, quand Vito mourait en jouant avec son petit-fils, Michael lui, s'éteint dans la solitude, dans l'anonymat le plus total, traînant dans la tombe le chagrin et le regret. La mise en scène elle-même ramène Michael à son échec. En effet, quand dans le premier film la mort de Vito Corleone constituait le centre de l’attention de la scène, faisant ainsi comprendre au spectateur l’importance de la disparition du Parrain en travaillant une véritable dramaturgie, dans le troisième film, Michael meurt dans un coin du cadre, il n’est plus le centre de l’attention, sa mort devient anecdotique. Coppola semble refuser toute grandeur à son personnage, soulignant ainsi un peu plus l’échec de sa vie.

Le Parrain III, c'est également l'histoire d'un homme cherchant à s'émanciper de sa condition de mafieux pour revenir dans le giron de la légalité. Un passé sulfureux auquel il ne parviendra jamais vraiment à échapper. Un passé qui - une fois de plus - nuira à sa famille. Car au moment où Michael semble retrouver le goût de vivre, entouré d'une famille à nouveau unie et fier de la prestation de son fils Anthony à l'opéra de la Cavalleria Rusticana de Palerme, il se voit retirer la chose qu'il a de plus chère au monde: son enfant. Sa fille Mary s'écroule, à ses pieds, d'une balle en plein cœur. Michael laisse échapper son chagrin dans un cri sourd mêlant tristesse et sentiment d'injustice. Tristesse d'un père se sentant coupable de n'avoir su protéger sa fille d'une balle qui lui était destinée. Tristesse d'un homme qui - malgré lui - n'aura su qu'apporter le malheur sur ses proches. De plus, la mort de Mary fait inévitablement échos à celle d'Apollonia dans le premier film, une mort qui - encore une fois - était initialement destinée à Michael, une mort qui - décidément - semble se refuser à lui, le condamnant de ce fait à subir, impuissant, la disparition des êtres qu'il chérit le plus au monde. Au fil du temps Michael est tout simplement devenu synonyme de danger pour ses proches qui ne sont jamais autant en sécurité que lorsqu'ils se tiennent éloignés de lui. pre constat pour celui qui ne rêve plus que d'une famille de nouveau unie.

Dans le cas de la mort de Mary, il nous est également permis de penser que cette balle soi-disant perdue n'était pas destinée à Michael mais bien à Mary. Cela ferait échos à cette phrase de Michael à Vincent: "Quand ils frappent, ils frappent ceux que tu aimes." Ainsi, pour les ennemis de la famille Corleone, cet assassinat aurait été doublement bénéfique: mettre le coup de grâce à un Michael vieillissant et malade et affecter Vincent (le nouveau chef de famille), qui avait confié à Don Altobello son amour pour Mary. C'est une hypothèse comme une autre.

Le Parrain III, c'est aussi un voyage à travers l'histoire de la famille Corleone. Un plan illustre à merveille cette dimension nostalgique: Pendant le séjour en Sicile, Michael revient avec Kay au village de Corleone, devant le parvis de l’église où il avait épousé Apollonia et d'où son père s'était clandestinement, caché dans un panier transporté par une mule. Comme s’il voulait réunir une dernière fois trois époques en une seule image, Coppola filme ce plan dans le même axe que par le passé. Et comme en clin d’œil, un mariage est célébré lorsque Michael et Kay visitent les lieux, tandis qu’un âne portant des paniers d’osier traverse le plan.


Si les critiques semblent unanimes en ce qui concerne le jeu "en carton" de Sofia Coppola (qui personnellement ne m'a jamais choqué), elles le sont tout autant quand il s'agit de saluer la superbe prestation d'Al Pacino qui offre au spectateur une saisissante évolution du personnage. Le film creuse davantage la relation fusionnelle que Michael entretient avec son ex-femme Kay interprétée par Diane Keaton. Une véritable complicité se dégage de ce duo qui n'aura décidément jamais été si touchant et émouvant. Le Personnage de Kay prend une toute autre dimension dans ce film, Pour la première fois, elle n'est pas soumise à son ex-mari mais, au contraire, s'oppose à lui, participant ainsi à la remise en question de Michael. Talia Shire quant à elle reprend pour la troisième fois son rôle de Connie Corleone. Une fois de plus, le personnage a évolué, passant de la femme frivole du Parrain II à une véritable "veuve noire" poussant Michael et Vincent à plus de fermeté, comme un pendant féminin du Michael de jadis. Enfin, le personnage de Vincent, fils illégitime de Sonny, interprété par Andy Garcia, confronte également Michael à son passé, une époque où - comme Vincent - il ne voyait guère d'inconvénient à éliminer ceux qui lui barraient la route. La mise en scène comme la photographie sont à la hauteur des deux premiers films. Certaines scènes restent mémorables par leur puissance émotionnelle et esthétique comme la scène de fusillade par hélicoptère, la confession au cardinal Lamberto, la scène de l'opéra, le cri sourd ou encore la mort de Michael Corleone. Et bien sûr comment parler du Parrain sans évoquer les superbes thèmes de Nino Rota orchestrés ici par Carmine Coppola (le père du réalisateur) qui - mariés à la mise en scène ultra classieuse de Coppola - élève le film au rang des plus grands opéras italiens.

Conclusion


Souvent considéré - à tort je le maintient - comme le canard boiteux de la trilogie (certains poussant le snobisme jusqu'à ne pas considérer Le Parrain comme une trilogie), Le Parrain III demeure à mes yeux un film magnifique tant sur son fond que sur sa forme, un véritable opéra cinématographique, un film intimiste qui constitue le parfait épilogue de l'une des plus grandes trilogies de l'histoire du septième art.

Antonin-L
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Mes films préférés, Mes scènes de cinéma favorites, Mes plus grosses claques cinématographiques et Ces films visuellement sublimes

Créée

le 10 août 2022

Critique lue 897 fois

8 j'aime

6 commentaires

Antonin-L

Écrit par

Critique lue 897 fois

8
6

D'autres avis sur Le Parrain - 3e Partie

Le Parrain - 3e Partie
Docteur_Jivago
8

Rideau

Seize années après le Parrain II, Francis Ford Coppola retrouve Mario Puzo pour conclure la saga de la famille Corleone et le destin de Michael, après que ce dernier ait éliminé ses ennemis et...

le 31 mai 2016

53 j'aime

Le Parrain - 3e Partie
Star-Lord09
10

Cavalleria rusticana ou La Chevalerie campagnarde. Opéra en un acte.

Effaçons de nos mémoires, le souvenir faussé de la supposée éloquence cinématographique du Parrain de Francis Ford Coppola. En cause, une autre trilogie plus récente signée d'un autre grand nom du...

le 12 juil. 2021

29 j'aime

18

Le Parrain - 3e Partie
Ugly
9

La mafia au Vatican

La trilogie est donc bouclée. 16 ans après le Parrain 2ème partie, Francis Coppola retrouve Michael Corleone vieillissant, affaibli, diabétique et repentant. Après avoir décrit la montée en puissance...

Par

le 6 févr. 2017

25 j'aime

9

Du même critique

Vaincre ou mourir
Antonin-L
1

Vide sidéral

J'attendais beaucoup, peut-être trop de ce premier film estampillé Puy du Fou, qui avait tout, selon moi, pour être le Braveheart français. Et même si je ne pouvais cacher une certaine circonspection...

le 15 févr. 2023

14 j'aime

7

Le Dernier Duel
Antonin-L
4

Maladroit, bête, prétentieux… Du pur Ridley Scott

Cette critique contient des spoilersIntroduction Réalisateur des Duellistes, Alien, Blade Runner, Thelma et Louise ou encore Gladiator, Ridley Scott semble depuis quelques années victime d'une longue...

le 27 juin 2023

13 j'aime

11

Braveheart
Antonin-L
9

Virtuose, universel et intemporel

Introduction : Lauréat de 5 Oscars, dont ceux du meilleur film et du meilleur réalisateur, Braveheart marque l'entrée de l'immense acteur Mel Gibson au panthéon des grands réalisateurs. Si beaucoup...

le 11 oct. 2023

9 j'aime

6