C’est une expérience hors du commun à laquelle se retrouve confrontée une femme en visite dans un chalet isolé au cœur de la forêt autrichienne en compagnie d’un couple d’amis chasseurs qui, partis pour des courses au village voisin, ne reviennent plus. Seule et isolée, elle va l’être complètement puisqu’elle s’aperçoit rapidement que son territoire est circonscrit par un mur invisible infranchissable sur lequel elle bute, observant des vestiges d’une vie qui semble pétrifiée et anéantie. Adapté de l’œuvre majeure de l’auteur autrichien Marlen Haushofer (pour lequel elle reçut en 1963 le convoité prix Arthur Schnitzler), le premier long-métrage de Julian Roman Pölsler épouse de multiples genres : d’abord fantastique à la limite du surnaturel, il devient au fur et à mesure que cette dimension est en quelque sorte acceptée et intégrée par l’héroïne une réflexion profonde et philosophique, déclenchée par l’isolement, la nécessité de faire front (se nourrir, se chauffer et braver les éléments) et une complète autarcie. Ce lent et complexe processus d’introspection et de recherche de nouveaux sens amène la femme à écrire longuement, moyen pour garder un contact avec le réel et pour clarifier des pensées décousues et entremêlées. Sorte de Robinson retranché dans les montagnes enneigées, sans aucun espoir de sortie, la femme trouve en son chien un fidèle compagnon, puis elle recueille une vache et un chat.

Le Mur Invisible ouvre des abîmes d’interrogations sur la capacité de l’Homme à s’adapter, à trouver en lui des ressources pour ne pas sombrer et penser à la mort, des raisons pour continuer. C’est aussi l’occasion pour la prisonnière de faire un bilan, de reconsidérer son existence à l’aune de ce qu’elle vit à présent, en questionnant sa place dans le monde et celle de l’amour. Grandes interrogations métaphysiques, magnificence des paysages et retour à la nature (par obligation), voix off et monologue : voici quelques éléments qu’on a vus il y a quelques jours dans À la merveille, le dernier film de Terrence Malick. Il est tentant de mettre les deux opus en parallèle et d’opposer la vacuité et l’inconsistance de l’un à la force et à la profondeur de l’autre. Le Mur Invisible parvient consécutivement à nous inquiéter, angoisser puis nous faire réfléchir et nous émouvoir – le chien constitue ici un personnage à part entière.

Comment l’être humain s’accommode-t-il de sa solitude, de l’absence de liens sociaux, accepte-t-il sa finitude dont il ne prend le plus souvent conscience que dans des situations extrêmes. Des thèmes fondamentaux abordés avec subtilité, radicalité et panache (la photo est magnifique mais ne fabrique jamais d’inoffensives cartes postales, au contraire elle souligne l’aspect anxiogène des paysages faussement tranquilles) dans un film étonnant, porté à bout de bras par l’actrice Martina Gedeck, révélée par La Vie des autres.
PatrickBraganti
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le 19 mars 2013

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