Terror Train, Roger Spottiswoode, Canada, 1980, 96 min

« Allo Lamar ? Ouais, c’est Daniel [Grodnik]. Dis, il faut que je te parle d’une idée que j’ai eu cette nuit dans mon rêve [true story]. Qu’est-ce que tu penses de refaire “Halloween”, mais dans un train ? »


« Tu veux qu’on s’organise une teuf d’Halloween dans un train ? »


« Mais nan, je te parle du film “Halloween” »


« Mais, c’est pas du tout dans un train… »


« Non justement, c’est pour ça que ce serait cool de le refaire, mais dans un train ! »


« Mais de quoi tu parles ? Tu as pris de la drogue Daniel ? »


« Pas du tout ! Je te parle de refaire le film “Halloween” de John Carpenter, et d’y déplacer l’intrigue dans un train, à bord duquel un tueur tuerait des jeunes ! »


« Haaaaa… J’y étais pas du tout… »


« Oui, j’ai cru comprendre… »


« Mais on n’a pas les droits pour refaire ‘’Halloween’’ ! »


« Ben ouais, je sais… Faut trouver un titre original du coup. »


« Et tu veux l’appeler comment ? »


« ‘’Terrible Train’’ ! » [true story]


« Ha ouais, j’aime bien ça ! ‘’Terrible Train’’ ça sonne bien ! »


« Et le tueur il porterait un masque de Groucho Marx. »


« Ha ouais, j’aime bien ça ! Groucho Marx ! »


‘’Terror Train’’ est l’un des, si ce n’est LE, meilleur Slasher de l’année 1980. Une année où le genre entre dans une véritable phase de consolidation. Il est réalisé par un cinéaste sans grande envergure, bon faiseur qui fera carrière à Hollywood sans vraiment marquer l’industrie, éditeur de métier, c’est ici son premier film, et force est de constater, son meilleur… Bien qu’un pur produit d’exploitation, s’il ressemble forcément aux Halloween-like qui envahissaient les cinémas depuis 1979, avec un tueur masqué (ici un Groucho Marx, puis un lézard, puis une sorcière), il y a dans cette production un petit plus qui en fait une œuvre terriblement sympathique, qui tient encore parfaitement la route, ou le rail, devrait-on dire.


Tout commence, ou presque, par des étudiants en médecine qui entreprennent un voyage en train, afin de fêter la fin de l’année. Le tout ressemble à une grosse soirée, bien arrosée, avec son et lumière et un prestidigitateur, parce que c’est là la quintessence du fun. Mais bien entendu, rien ne se déroule comme prévu, puisqu’un méchant tueur commence à faire le ménage parmi les fumeurs de ouinj libidineux torchés au whisky. Voilà un portrait peu reluisant d’un corps médical en formation, mais il faut bien que jeunesse se passe.


Le biais du huis-clos, faisant du train le terrain de jeu du tueur, est une idée formidable, puisque l’espace est particulièrement restreint. Il se dégage en permanence une ambiance claustrophobe, qui en ajoute au suspens général. De fait, les meurtres deviennent des moments plutôt funs et se révèlent originaux. Avec son atmosphère sombre et confinée par l’étroitesse des wagons dans la nuit froide, Roger Spottiswoode et son chef opérateur John Alcott distillent une ambiance typique du Slasher, dont il s’impose avec le temps comme l’un des plus illustres représentants.


Quant aux personnages, ils sont bien développés, à l’instar d’Alana (Jamie Lee Curtis), présentée comme une jeune studieuse, qui n’a pas joué du statut social de ses parents. Elle est ainsi mise en opposition à Doc (Hart Bochner), un Chad suffisant et insupportable, issu lui d’un milieu aisé. Dans son ensemble, et contrairement à beaucoup de productions du genre, le casting est loin d’être désagréable, mené par Jamie Lee Curtis qui porte le métrage sur ses épaules (entre 1978 et 1981 tourne dans pas moins de cinq œuvres horrifiques, devenant la reine des Scream Queen). Son énergie et son solide dévouement, dans tous les aspects de la comédie, permettent au film de demeurer une expérience agréable. Face à elle, se trouve Ben Johnson, un vieil acteur de Western, qui interprète le conducteur du train, et un fan de Camping-Car. Il incarne la jonction parfaite entre une jeune Amérique dynamique et insouciante, et une arrière-garde bienveillante mais un chouia trop protectrice.


En pleine hype du Slasher, le film ne se contente pas d’écumer la recette du genre, et propose une véritable réflexion. Par sa scène d’introduction et les motivations du tueur, il impose ainsi un dilemme moral à son audience. En effet, les meurtres ne sont pas gratuits, et ne ciblent pas n’importe qui. Les victimes sont des bullies, qui ont humilié et poussé un jeune homme fragile vers la folie, suite à une mauvaise blague de très mauvais gout, et qui a très mal tournée. De ce fait, les victimes ne sont pas forcément sympathiques, mais leur mort est-elle justifiée ? C’est là tout le plaisir du film, qui interroge sous un spectacle horrifique divertissant.


L’autre particularité de ‘’Terror Train’’, qu’il est difficile de ne pas mentionner, c’est la présence au casting de David Copperfield, qui joue un… magicien ! (oui, incroyable). Cela donne lieu à des séquences un peu étranges, entre les meurtres, où il est proposé à l’audience, comme aux personnages du film, un spectacle de magie. La présence du prestidigitateur ajoute ainsi une dimension gentiment méta’, qui laisse se demander si tout cela est vrai. Bien sûr que non, c’est une fiction. Mais… Jouant avec malice la carte du faux-semblant, dans le film, Derek McKinnon (le tueur) apparaît dans plusieurs scènes, sous différents costumes, incarnant des étudiants, le rendant omniprésent à l’écran. Le récit réfléchit sur ce qu’il propose et ne se contente pas d’aligner passivement un spectacle vide.


Témoignage privilégié de la vague du Slasher, ‘’Terror Train’’ n’est pas encore dans une démarche conservatrice, bien qu’il y ait des prémisses. Notamment les premières victimes, où se trouvent ceux qui boivent plus que de raison, qui ne pensent qu’au sexe, et qui prennent de la drogue. Ces futurs médecins, l’avenir de la profession, sont ainsi présentés comme de petits sauvageons, ne correspondant pas au modèle de société vendu par un American Way of Life de plus en plus mondialisé. Si c’est encore embryonnaire, les bases d’un basculement dans le réac’ le plus primaire sont déjà présentes.


Néanmoins, il reste toujours sympathique à revoir, même 40 ans après sa sortie. Ne serait-ce que pour la place qu’il occupe durant l’année charnière qu’est 1980, où le Slasher prend vraiment forme, avec une certaine innocence qui en fait alors un sous-genre de l’Horreur des plus légers. Destinés à délivrer du frisson aux jeunes spectateur/rices en plein rejet du Flower Power de leurs parents, dans un monde en guerre, où les gouvernements passent leurs temps à mentir, où la foi envers les institutions a failli. Le Slasher apparaît alors comme l’exutoire d’une jeunesse désillusionnée qui doit grandir par ses propres moyens, perdant progressivement espoir, et aspirant de moins en moins à espérer grand-chose d’un Occident en crise.


Il est demandé aux jeunes, ici ceux des eighties, de mener la même existence que leurs parents dans les années 1950/1960. Dans un monde où les problématiques sont radicalement différentes. Au Cinéma, cette jeunesse est moissonnée par des tueurs psychopathes et aliénés. Comme dans ce “Terror Train”, où de futurs médecins, pourtant de grands représentants de l’establishment, se font trucider pour rien à l’image d’une jeunesse sacrifiée sur l’autel d’un rêve de confort, demeurant pour beaucoup plus proche du cauchemar.


Car le film est également contemporain d’une nouvelle race de criminels : les serial killer. Ces derniers apparaîssent dans un quotidien où une insécurité omniprésente est instrumentalisée à des fins électorales. Forcément, le genre a tout pour devenir un formidable réceptacle de toutes ces craintes infondées, et c’est finalement ça le Slasher : le constat d’une société qui s’effondre sur elle-même. Où une jeunesse abandonnée est massacrée par un appareil sociétal déshumanisé (qui se retrouve dans le Tueur spectral).


Avec sa réalisation solide, son scénario convaincant, ses personnages attachants et son récit bien construit, ‘’Terror Train’’ respect la nature de production horrifique et donc son spectateur, par une grande générosité, une tenue en haleine qui fonctionne bien et un message bien moins inoffensif qu’il en a l’air. Il réussit même à faire un twist final alors que dès le début il est très clair qui est le tueur, et ça c’est cool. En résulte un classique du genre, que les aficionados de l’horreur ne peuvent pas se permettre de rater, et il est bien plus qu’une simple “Halloween dans un train”. C’est avant tout un digne et intemporel représentant du Slasher.


-Stork._

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le 16 oct. 2022

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