Le Mépris, film de Jean-Luc Godard, chef de file du mouvement de la Nouvelle-Vague est sorti en 1963. Réunissant Michel Piccoli, Brigitte Bardot, Jack Palance et Fritz Lang, l’œuvre est magistrale, avant-gardiste et a influencée nombre de cinéastes, de Martin Scorsese à Quentin Tarantino en passant par David Lynch. Un monument du septième art.

Débutant par un générique parlé, à la manière d’un Sacha Guitry ou d’un Orson Welles (qui avait utilisé la technique pour La Splendeur des Amberson), Le Mépris accroche par cette ouverture insolite. Ainsi, le film continue sur une citation d’André Bazin : Le cinéma substitue à notre regard un monde qui s’accorde à nos désirs. Ca sera une des thématiques du film, le combat entre un réalisateur (Fritz Lang) qui a une vision artistique et un producteur (Jack Palance) qui veut imposer son point de vue de façon unilatérale.

Un scénariste, Paul (Michel Piccoli) est engagé par le producteur de cinéma Jeremy Prokosch (Jack Palance) dans le but de réécrire une adaptation de L’Odyssée d’Homère pour qu’elle soit plus conforme à sa vision et s’éloigner de celle de Fritz Lang, le réalisateur, qui veut être fidèle à la version de l’auteur. Petit à petit, l’engagement de Paul sur le film va l’éloigner de sa compagne, Camille (Brigitte Bardot) qui lui reproche de vendre son âme pour l’argent.

A partir de là, Godard tisse une œuvre monumentale, esthétiquement admirable et au propos infiniment profond. Concernant la mise en scène, elle s’avère extrêmement intelligente. On peut prendre en exemple la partie du film se passant dans l’appartement de Paul et Camille ; le réalisateur filme les deux protagonistes comme une sorte de ballet sous forme d’échanges à bâtons rompus, l’espace de l’habitation étant utilisée de manière absolument remarquable et magnifiant de facto la scénographie. Ainsi, Godard joue du plan-séquence afin de rendre un aspect de vérité et d’authenticité qui se ressent également dans les dialogues, troublants de sincérité. Ensuite, quand Paul et Camille en viennent à parler de rupture, le montage se veut plus brutal, le cinéaste ne cadrant plus les deux acteurs en même temps pour démontrer de façon à la fois visuelle et symbolique cette soudaine coupure qui s’effectue chez le couple. De plus, le chef-opérateur, Raoul Coutard (qui a également travaillé pour François Truffaut) a su réaliser une photographie somptueuse, s’appuyant notamment sur un travail fin et précis des couleurs qui contribue à la beauté esthétique des plans du Mépris, spécialement ceux réalisés à Capri, avec la mer en toile de fond, superbe.

Le Mépris est aussi une prodigieuse étude sur les relations amoureuses, Godard nous livrant une vision très personnelle de celles-ci. Ainsi, Camille finit par mépriser Paul car elle s’ennuie et lui reproche de sacrifier ses ambitions personnelles pour l’argent ; plus celui-ci cherchera à trouver la réelle explication, plus il se heurtera à un mur sans jamais parvenir à comprendre les raisons de ces problèmes. Même si Brigitte Bardot doit plus sa présence dans le film à son physique gracieux qu’à son talent d’actrice, celle-ci n’en reste pas moins d’un naturel saisissant tandis que Michel Piccoli excelle en homme blasé par la vie et torturé par une femme qu’il ne comprend plus. Tiraillé entre ses aspirations artistiques et son besoin d’argent qui l’oblige à accepter un travail qui va à l’encontre de ses valeurs, Paul déclamera cette phrase lourde de sens : Le monde moderne est fait de telle façon que l’on est toujours obligé d’accepter ce que veulent les autres. Pourquoi est-ce que l’argent prend tant de place dans ce que l’on fait? Godard démontre donc toute la difficulté du processus de création et surtout dans le milieu du cinéma où le réalisateur doit énormément jouer des contraintes liées aux producteurs ; propos illustrés dans le film par les relations entre Prokosch (Jack Palance, impressionnant de charisme), un riche producteur sûr de lui et arrogant opposé à Fritz Lang (alter ego de Godard),cinéaste chevronné refusant toutes concessions. A noter la partition musicale composée par George Delerue, splendide et enchanteresse.

Le film de Jean-Luc Godard, influence majeure et œuvre transcendante unanimement admirée, est devenu un grand classique représentatif de ce mouvement cinématographique précurseur qu’est la Nouvelle-Vague.
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le 11 nov. 2012

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