Vos méthodes sont celles d'un marginal ! Pas celles d'un flic.

- Autrefois, les mômes qui se cament en 6ème, ça t'empêchait pas de dormir... Tu prenais ta fraîche. Et maintenant tu voudrais que j'aille chez les sauvages me faire ouvrir la tronche à coup de rasoir, pour ramener ta gamine au bon air ? Tu trouves pas que tu charries un peu, Tonton ? Pourquoi t'as pris un flic pour allez chez les enfoirés ?
- J'ai pas pris un flic, j'ai pris un enfoiré...

Exploration des zones d'ombre de Paris



Le Marginal représente la réunion de Jean-Paul Belmondo et du cinéaste Jacques Deray, un quart de siècle après leur collaboration sur "Par un beau matin d'été" et une décennie après "Borsalino". De cette nouvelle union cinématographique va aboutir un thriller policier saisissant qui dévoile les facettes sombres de la magnifique Capitale, souvent glorifiée comme la Ville Lumière, le berceau de l'amour et de la mode, un épicentre culturel et culinaire inégalé, symbole de l'art de vivre à la française. Toutefois, derrière cette façade étincelante, se cache un monde souterrain empreint de criminalité et de dépravation que le commissaire Philippe Jordan (Jean-Paul Belmondo), nous révèle sans concessions. Ce tableau inquiétant révèle un Paris où la prostitution, la pédophilie, les jeux d'argent clandestins, la drogue et la violence règnent en maîtres, où les maisons closes et les meurtres s'inscrivent dans le quotidien des quartiers sombres. La corruption gangrène les institutions jusqu'aux plus hautes sphères du gouvernement, avec une police parfois contrainte de fermer les yeux sur certaines activités illégales, sous la pression des autorités gouvernementales qui préfèrent maintenir une illusion de paix sociale en laissant certaines zones échapper aux lois constitutionnelles. Des zones de la ville où le vice domine en souverain absolu, agissant sans entrave et sans craindre d'être arrêté.



Le personnage du commissaire Jordan incarne le refus de cette complaisance, confronté à une hiérarchie qui lui intime de rester passif, notamment face au puissant trafiquant de drogue Sauveur Mecacci (Henry Silva). Cette résistance morale devient un combat personnel pour Jordan, qui refuse de se conformer à l'inaction et décide de prendre les choses en main, même au péril de sa propre intégrité. Il refuse de rester passif alors que des innocents sont victimes de cette impunité organisée, dénonçant un système où les valeurs morales semblent avoir été sacrifiées au nom d'intérêts politiques et économiques. Avec ce personnage, Deray explore les zones d'ombre d'une société en déclin moral, questionnant les limites de la justice et de l'intégrité dans un monde où les valeurs sont corrompues. Le Marginal devient ainsi bien plus qu'un simple film policier, mais une réflexion profonde sur les travers d'une société en crise, où la lumière vacille entre l'éclat des projecteurs et les ombres obscures des bas-fonds parisiens. Cette plongée dans les entrailles de Paris révèle une métropole gangrenée par une structure maléfique, rendue de manière saisissante par la vision sombre de Xaver Schwarzenberger à travers sa photographie. Sous la direction de Jacques Deray, le film dévoile une atmosphère oppressante, où chaque rue semble exhumer les secrets les plus sombres de la ville. Dans cette exploration sinistre, le travail d'écriture du cinéaste Deray est magnifié par la collaboration de Jean Herman et Michel Audiard, bien que ce dernier ne soit pas officiellement crédité pour son apport au scénario.



Si il a eu une jeunesse agitée, je lui promets une vieillesse paisible... Pendant vingt ans... En Centrale.


Ensemble, ils donnent vie à un récit où la noirceur de l'âme humaine se mêle à la décadence urbaine, créant une toile complexe et troublante où la frontière entre le bien et le mal s'efface dans les ombres de la nuit parisienne. Certes, l'histoire manque parfois de finesse, mais elle a le mérite d'aller droit au but sans détours superflus. Un contraste frappant parfait pour un acteur aussi emblématique que Jean-Paul Belmondo, qui joue les durs en abandonnant l'humour et la légèreté pour incarner un personnage aux traits plus sombres et sérieux afin de cadrer avec le propos rude. Dans ce contexte, son interprétation prend une profondeur nouvelle, reflétant un protagoniste désabusé par l'inaction de ses supérieurs, qui semblent plus préoccupés par la complaisance envers les criminels que par la justice. Une réplique en particulier, prononcée par Belmondo, résonne avec une force particulière : "À quoi bon être flic si chaque arrestation conduit à une libération le lendemain par les magistrats ?" Cette observation trouve un écho troublant dans notre actualité contemporaine, soulignant un constat persistant sur le dysfonctionnement du système judiciaire. Elle suggère que déjà à l'époque, un laxisme effrayant des autorités supérieures permettait aux criminels d'opérer en toute impunité, et que cette négligence persistante a contribué à l'aggravation de la situation au fil des années, malgré pourtant les nombreux avertissements des policiers. Ainsi, le film acquiert une pertinence singulière, offrant un reflet effrayant des problèmes sociétaux qui perdurent, et mettant en lumière les conséquences dévastatrices d'une justice laxiste et défaillante.



Côté divertissement, le film ne laisse aucun répit avec une multitude de scènes d'action captivantes. Dès la première course poursuite à Marseille, qui se transforme en une impressionnante poursuite en hélicoptère, où Belmondo saute sur un bateau lancé à vive allure, l'adrénaline est au rendez-vous. Tout aussi jouissif, une violente bagarre dans un restaurant où Belmondo intervient pour défendre Livia Dolores Maria (Maria Carlos Sotto Mayor), une prostituée avec qui il entretient une relation particulière, et où il montre toute sa détermination à la défendre. Autrement plus rude, le sauvetage d'une jeune fille arrachée à un squat où elle était prostituée et droguée, un moment poignant. Le face-à-face final entre Belmondo et Silva, qui conclut l'histoire de manière brutale, est également mémorable en se présentant comme la conclusion la plus logique, tout comme d'autres séquences marquantes. La scène la plus mémorable survient lorsque l'ami du commissaire, Francis Pierron (Tchéky Karyo), est froidement abattu, déclenchant une course poursuite en voiture à travers Paris. Jacques Deray nous offre une poursuite haletante où Belmondo, au volant d'une Ford Mustang 1967 blindée, affronte une Plymouth Volaré 1976. Cette scène, même sans être un hommage à la poursuite de Bullitt par Peter Yates avec Steve McQueen, reste l'une des meilleures courses poursuites automobiles jamais vues. Entre les moments d'action et les instants d'introspection, le film nous ravit, d'autant plus que chaque plan est accompagné de la composition musicale envoûtante d'Ennio Morricone. C'est la touche finale qui sublime le tout.



CONCLUSION :



"Le Marginal" se révèle être un thriller policier captivant et percutant, porté par la performance de Jean-Paul Belmondo dans un rôle sombre et désabusé. Le film offre une exploration profonde des zones d'ombre de la société parisienne, dénonçant la corruption et l'impunité qui gangrènent les institutions. Les scènes d'action sont intenses et spectaculaires, tandis que les moments d'introspection ajoutent une profondeur émotionnelle à l'ensemble. La réalisation de Jacques Deray et la musique envoûtante d'Ennio Morricone viennent parfaire ce tableau sombre et saisissant, qui certes peu manquer de subtilités, mais reste intelligent dans son propos.


Un incontournable du cinéma policier français, témoignant du talent indéniable de ses créateurs à livrer un message fort qui n'a jamais autant résonné qu'aujourd'hui.



- Qu'est-ce que vous faites là ?
- Je peux pas être là, puisque je suis mort...
- Et qu'est-ce que ça veut dire tout ça, Monsieur Jordan ?
- Devinez...
- Mais alors votre théorie ne tient plus. Il y aura un procès, mais pas mon procès. Le vôtre...
- Pour qu'il y ait mon procès, il faudrait que ce soit mon révolver.
B_Jérémy
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste « Cocorico ! » : classement du meilleur au pire des films appartenant au cinéma français

Créée

le 12 mars 2024

Critique lue 305 fois

47 j'aime

41 commentaires

Critique lue 305 fois

47
41

D'autres avis sur Le Marginal

Le Marginal
Ugly
7

Bébel fait le ménage

Ce type de polar à la gloire d'une star française (il en restait peu en 1983) faisait suite à une série de films très commerciaux comme Flic ou voyou, le Professionnel, le Guignolo (le moins réussi...

Par

le 26 avr. 2017

27 j'aime

16

Le Marginal
AMCHI
6

Bébel le magistral

L'ayant vu tout gamin j'avais adoré (Bébel était quasiment un Dieu pour moi) puis adulte j'avais trouvé ce film moins prenant. Puis je l'ai revu et finalement je l'ai pris tel quel c'est-à-dire comme...

le 3 sept. 2022

17 j'aime

7

Le Marginal
JeanG55
5

Spectacle tous publics

En 1983, Jacques Deray réalise un film autour de Jean-Paul Belmondo. Le cahier des charges comprend des dialogues d'Audiard, des cascades, des bagnoles, de l'action, un rôle de flic dans lequel...

le 15 mai 2022

13 j'aime

9

Du même critique

Joker
B_Jérémy
10

INCROYABLE !!!

La vie est une comédie dont il vaut mieux rire. Sage, le sourire est sensible ; Fou, le rire est insensible, la seule différence entre un fou rire et un rire fou, c’est la camisole ! Avec le Joker...

le 5 oct. 2019

170 j'aime

140

Mourir peut attendre
B_Jérémy
8

...Il était une fin !

Quel crime ai-je commis avant de naître pour n'avoir inspiré d'amour à personne. Dès ma naissance étais-je donc un vieux débris destiné à échouer sur une grève aride. Je retrouve en mon âme les...

le 7 oct. 2021

132 j'aime

121