Le Joli Mai, c'est interroger les parisiens en mai 1962, alors que les accords d'Évian viennent d'être signés (18 mars 1962), autour de 3 thèmes prédominants : l'argent, le bonheur et la liberté. Trois thèmes qui sont finalement intimement liés.


La voix-off de ce documentaire est très lyrique et la diction d'Yves Montand favorise l'immersion du spectateur dans ce documentaire - non pas sur la France - mais sur Paris et ses mutations. On parle d'ailleurs du "premier printemps de la paix", puisque la France a été continuellement en guerre (WW2, Indochine, Algérie...) et en mai 1962, on retrouve un semblant de sentiment de paix.
Chris Marker et Pierre Lhomme vont interroger dans la rue des parisiens très différents : toutes les classes sociales ont le droit à la parole. Ce qui est assez marquant, c'est de voir à quel point l'argent représente le bonheur selon les interrogés. Le premier dit "Ce qui compte : c'est le pognon", un autre qui travaille à la Bourse déclare plus tard "L'argent, c'est un moyen d'existence". Ainsi, en 1962 (et c'est sûrement le cas encore aujourd'hui), argent est synonyme de bonheur ET de liberté.
Le documentaire est divisé en 2 parties, et la première partie s'achève d'ailleurs sur l'interview d'un couple très niais et gêné face à la caméra, qui met en avant tout le malaise qui habite les parisiens à cette époque. Le mari finit par dire qu'il croit au bonheur éternel. C'est particulièrement intéressant la manière dont les entretiens sont tournés, puisque l'on s'attarde sur la gestuelle (traduisant sans doute le malaise). Ainsi, on entend des individus parler, mais on observe surtout leurs mains.


La deuxième partie est différente de la première, puisqu'elle traite de sujets plus graves, sans perdre de vue l'idée directrice du documentaire : entendre les parisiens parler librement. Ainsi, deux témoignages ont été particulièrement marquants : celui d'un étudiant africain et celui d'un jeune pied noir. Les deux témoignages en question sont certes différents mais la bienveillance et la sagesse ressortent de ces entretiens. Ils expriment leurs ressentis sur la France, sans éprouver de haine. Pourtant, l’un dit s’être mis en colère quand pour la première fois, il a lu dans les livres d’histoire français la façon dont son pays avait été colonisé. Il voyait dans ses livres, un certain mépris, le mépris du vainqueur, car ce sont les vainqueurs qui écrivent l’histoire.
L’autre raconte sa première expérience de travail en France, alors qu’il était détenteur d’un CAP. En une semaine, il a été viré à cause d’un autre travailleur (français), jaloux de voir un algérien travailler. Ces deux témoignages rendent compte du racisme ambiant, du racisme même systémique qui pourtant laissent indifférents les deux jeunes. Cela témoigne de leur grande dignité.
J’insiste sur les deux « jeunes », car justement le film met excessivement bien en avant une époque où les jeunes s’expriment correctement, et font preuve d'une extrême maturité. Le Joli Mai, quelque part fait penser à une succession d’archives de l’INA.


La France a-t-elle vraiment évolué? Le racisme est toujours présent, les femmes combattent pour l’égalité, les ouvriers sont toujours exploités par les patrons (même si la tendance n’est pas si manichéenne que ça, les ouvriers ne sont pas les seuls à souffrir, quid des professions libérales muselées par un système où le contrôle permanent remet en question l’idée même de libéralisme ?).



Le monde : ce sont les croyants et les communistes. Tous ceux qui ont une foi.



Le récit s’imprègne également de la foi (chrétienne ou pas). Le communisme et la religion ont souvent été opposés, le communisme étant perçu comme l’athéisme. Et pourtant, ils ont la foi en commun, c’est pourquoi les débats sont si virulents. L’Église et le communisme sont des faux ennemis, des frères qui s’ignorent. Ils sont dans le même panier, le panier du dogmatisme.


Alors que le documentaire s’ouvrait sur les envolées lyriques d’Yves Montand et des plans contemplatifs de Paris, il s’achève sur un long time-lapse comme si la vie parisienne reprenait son cours, et comme si les maux du passé n’étaient que des souvenirs engloutis par l’effervescence de Paris.
Et pourtant…



Tant que la misère existe, vous n’êtes pas riche(s). Tant que la détresse existe, vous n’êtes pas heureux. Tant que les prisons existent, vous n’êtes pas libre(s).


sachamnry
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le 8 juin 2020

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sachamnry

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