Il y une tradition à Venise : celle du film surprise. Les festivaliers entrent dans la salle sans savoir quel film va leur être projeté.


A la dernière Mostra, ce sont des crédits en français (Arte...), puis des idéogrammes chinois que les spectateurs ont découvert, ceux du générique de la première fiction de Wang Bing.


Ce dernier est souvent considéré comme le plus grand documentariste vivant. Son documentaire fleuve de 9 heures A l'Ouest des rails est considéré comme un film culte.


La projection de ce soir* revêtait donc un caractère spécial, digne des plus grands festivals (le film a aussi été présenté à Toronto). La fête aurait été complète si Wang Bing n'était pas resté cloué au lit en Chine par un mystérieux "mal des montagnes" qui l'empêcherait de prendre l'avion...


Autant le dire tout de suite, le film est particulièrement éprouvant, émotionnellement et intellectuellement.


Nous sommes en 1960, dans un camp de rééducation, dans le désert de Gobi, en plein hiver. Les prisonniers habitent dans des sortes de caves creusées dans la terre, comme des rats. La famine et le froid glacial leur rendent la vie très diffcile.


Dès les premières minutes, on voit les cadavres s'entasser, et durant tout le film les morts vont se succéder à une cadence infernale, à tel point qu'à un moment un personnage dit à un autre, qui vient de découvrir un cadavre : "finis de manger, on s'en occupera après".


L'horreur est montrée sans ostentation particulière, mais la caméra froide et élégante de Wang Bing ne fait pas de cadeau non plus : un prisonnier vomit, son ami ramasse la nourriture pour la manger, un homme raconte qu'un autre a brûlé les poils d'un vêtement en mouton puis à fait griller la peau pour la manger, on entend qu'un cadavre a été retrouvé en partie dépecé au niveau des fesses et des mollets.


Dans des paysages d'une platitude irréelle, filmés magnifiquement, constituant une véritable prison à ciel ouvert, le film s'écoule avec la lenteur du plomb. Sorte de synthèse du cinéma de Bresson, des espaces américains de Ford et de souvenirs du goulag. Un vertige métaphysique peut saisir le spectateur à mi-film : où sont les gardiens ? Pourquoi ces gens sont-ils là exactement ? Il marque les esprits probablement d'une façon indélébile (en tout cas le mien), avec ce style inimitable que les Chinois de la nouvelle génération (comme Jia Zhang-Ke) savent donner à leurs films : la réalité y semble être inventée, alors que la fiction y a l'aspect d'un documentaire.


En bref, pas vraiment super rigolo, mais très puissant. Brrrr.
http://www.christoblog.net/article-festival-continents-2010-82275453.html

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le 16 avr. 2018

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