Au loin, sous la haute futaie que reflète la pureté opaline d’un lac de montagne, l’œil ne tarde pas à distinguer les contours d’un cheval et de son cavalier ; il n’est pas seul : en croupe, mais tournant le dos à son père, un petit blondinet à la gueule d’ange, sourire flottant sur les lèvres, contemple avec ravissement la biche égarée dans la calme immensité de cette nature sauvage, un chien de berger, les yeux rivés à son jeune maître, trottant allègrement derrière la monture .


La Guerre de Sécession vient à peine de prendre fin, mais l’homme tranquille qui se dirige vers le nord, expose, sans y penser, les stigmates d’une lutte acharnée encore bien vivace : la sangle de son cheval, voire ses bottes, typiques des sudistes, le désignant immanquablement comme un paria.


Dans Aberdeen, petite ville du nord des Etats-Unis, le curieux trio ne peut longtemps passer inaperçu : John Chandler, ancien confédéré autrement dit «Reb», sobriquet infamant, flanqué de son fils muet, David et de leur chien Lance, lequel vient de faire la preuve de ses exceptionnels talents de berger, devant des éleveurs de moutons ébahis, dont il a excité la convoitise.


Profitant du fait que le père consulte pour David au cabinet médical, les Burleigh riches fermiers sans scrupules, habitués à faire la loi dans le village et à «se servir», tentent alors de voler le précieux animal.


Mais c’était sans compter sur la force de frappe de « l’homme tranquille » qui, ayant usé de ses poings le premier, est conduit chez le juge et inculpé pour coups et blessures.


Un pugilat en bonne et due forme qui ravira les amateurs d’action, d’autant que le film n’en abuse pas, le duel final constituant l’apogée du genre.


Adapté de la nouvelle de James Edward Grant, ce western de Michael Curtiz fait en effet la part belle aux sentiments et aux rapports humains, réunissant de façon sensible, tout en subtilité, le couple Alan Ladd, cow-boy intègre, droit dans ses bottes, père aimant et exemplaire qui ne vit que pour la guérison de son fils, et Olivia de Havilland, femme mûre et empathique, ayant troqué son glamour contre une force morale et un courage qui lui tiennent lieu de beauté et de séduction.


C’est elle, Linnett Moore, qui devant le choix sans appel auquel John Chandler est confronté : 30 jours de prison ou 30 dollars d’amende, se porte garante, elle paiera la caution et en échange l’inculpé travaillera pour elle, à la ferme, le temps de rembourser sa dette.


Harcelée depuis des années par les Burleigh, sortes d’ogres et tyrans économiques qui convoitent ses terres et qu’elle abhorre, la jeune femme s’adjoint bien volontiers l’aide de Chandler qu’elle a jugé au premier regard, émue aussi par le jeune orphelin, traumatisé lors de la mort violente de sa mère, et la relation fusionnelle qui unit désormais le père et le fils.


Rencontre touchante de deux solitudes, deux êtres taiseux mus par un respect réciproque, qui vont apprendre à se parler, s’apprivoiser et peu à peu se connaître, le bien être de David, au centre de toutes leurs préoccupations, renforçant une complicité qui ne cesse de croître au fil des mois.


À l’image de la grange, laissée à l’abandon, puis incendiée par les Burleigh, c’est leur avenir qu’ils se proposent de construire, ou de reconstruire : « Mon frère et moi n’avons jamais pris le temps de la rénover » avoue Linnett, mais c’est portés l’un et l’autre par un idéal commun, celui qu’on peut bâtir ensemble, qu’ils y parviendront.


Rien de convenu, pourtant, dans ce western familial de facture très classique, certes, mais qui ne tombe jamais dans la facilité : le bonheur n’est pas une longue route tranquille, acquis une fois pour toute, il faut se battre contre la mauvaise foi et les profiteurs car tout se monnaye, travail et vertu ne suffisent pas nous dit Curtiz à travers ses personnages.


Un Alan Ladd vieillissant, comme je ne l’avais encore jamais vu, formidablement émouvant dans ce rôle de père modèle, une douce mélancolie lui collant à la peau et Olivia de Havilland, forte, humaine et généreuse au-delà des mots, quant au jeune David, le propre fils d’Alan Ladd, il est tout simplement merveilleux de naturel et de vérité.


Une histoire simple et passionnante privilégiant l’humain, de beaux sentiments, de nobles personnages sans fadeur ni mièvrerie, des plans magnifiquement cadrés,
« des paysages et des ambiances joliment ciselés » : comment ne pas être enthousiaste?!

Aurea

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70
82

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