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Le Diable
7.1
Le Diable

Film de Andrzej Zulawski (1972)

Quel film ! Je ne m'attendais pas à cela avant de le lancer, mais c'est un film prodigieux, même si je ne pourrais dire si j'ai aimé ou non. Là n'est pas l'essentiel d'ailleurs. C'est un film totalement chaotique et diabolique. L'introduction est assez exceptionnelle ; il y règne un chaos qui pourrait rappeler Marketa Lazarova sur certain aspect. Mais le teint de la photographie et la place qu'a le spectateur tout au long du film me fait plutôt penser à Pasolini, et notamment à Salo ou les 120 journées de Sodome.


C'est un film déconcertant à n'en point douter, et rarement je me suis senti autant mal à l'aise devant un film - ce n'est évidemment pas une critique, au contraire. En plus d'être éprouvant et profondément malsain, il y a quelque chose qui semble m'échapper ; mais j'aime ne pas tout comprendre d'un film. Mais ici, ça m'a parfois un peu gêné.


Pour autant, c'est un film assez grandiose. Les acteurs semblent être possédés, véritablement possédés. Zulawski réussi vraiment à mêler contemplation et immersion, car si nous sommes parfois les tristes contemplateurs d'une déchéance humaine, nous sommes aussi plongés dans l'univers totalement glauque et répugnant par une capacité d'immersion extraordinaire... L'apparente possession des acteurs renforcent cette immersion du chaos. Il est clair que je ne me suis pas senti très bien pendant le visionnage tant le film dérange, mais c'est un sentiment quelque part "agréable" au Cinéma, le Cinéma est là aussi pour interloquer, pour proposer ce genre d'expérience ; l'art, c'est aussi apprendre à souffrir, une doctrine de la souffrance. Le spectateur souffre aussi bien du monde répugnant, malsain et diabolique dans lequel nous plonge Zulawski que d'une narration pour le moins singulière, exigeante, peu commode.


L'oeuvre est chaotique, mais prend aussi parfois une tournure complètement folle, une folie presque herzogienne. Je pense notamment au sauveur inconnu ; son jeu m'a un peu rappelé le jeu d'acteur de Klaus Kinski chez Herzog. Ce personnage est la clé du film d'ailleurs, il est l'allégorie du diable, du malin génie, des manipulations. Il est une sorte de Méphistophélès un Méphisto qui ressemble beaucoup à celui que propose Sokourov dans son Faust ! Cela ne m’étonnerait pas que Sokourov s’en soit inspiré. D’ailleurs, j’y vois une certaine esthétique commune, et une narration plutôt proche, bien que le film de Zulawski me semple plus fort et encore plus dérangeant que celui de Sokourov. L'empreinte de Satan est beaucoup plus forte et réussie dans ce film. Il est en tout cas dur de poser des mots sur une telle oeuvre... Comme il m'a été dur de poser des mots sur Marketa Lazarova.


Je trouve qu'il y a tout un côté dostoïevskien dans ce film ; je parlais de personnages possédés... Ce sont les Démons quelque part, pour paraphraser le titre d'une grande oeuvre de Dostoïevski ! Nous sommes entourés de personnages excessifs (et comme le dit Monseigneur l'Évêque dans Salo, ‹‹tout est bon lorsque c'est excessif››, phrase qui traduit bien toute la décadence humaine, toute la complaisance dans l'orgie... même s'il y a bien sur un fond de vérité dans cette phrase, même en dehors d'un monde en pleine décadence). Nous sommes entourés de personnages semblables à Rogojine (L'Idiot), à Stavroguine et Piotr Stépanovitch (Les Démons), c'est assez terrible ! Mais Jakub lui, serait plutôt une forme de Prince Muichkine (à sa manière disons), personnage principal de L'Idiot, cet homme innocent qui contemple la perversité et la corruption de l'humanité avec une certaine impuissance. Jakub est d'ailleurs épileptique, comme l'était le Prince Muichkine. D'ailleurs, le sauveur inconnu compare Jakub au Christ ; Muichkine, lui aussi, était une forme de réincarnation christique. Et nous, spectateurs, nous sommes comme Jakub, nous sommes impuissants et nous sommes les tristes contemplateurs de la décadence humaine, de la laideur du monde. Nous avons parfois l'impression assister à une fin du monde… Comme si l’humanité allait disparaître et qu’alors, tous les personnages se mettaient à exercer leurs fantasmes les plus fous. Zulawski, comme Pasolini, réduit le spectateur à un rang terrible, à une contemplation impuissante, où il est difficile de condamner quoi que ce soit, et où l'on culpabilise presque. Le film a une portée eschatologique certaine ! (et donc biblique, forcément).


La réalisation est exceptionnelle, elle ne cesse de surprendre le spectateur. Si cela rappelle Marketa Lazarova, cela rappelle aussi Il est difficile d’être un Dieu, sauf que le film de Zulawski me semble plus puissant, car nous avons un personnage contemplateur de cette décadence, et car le propos semble encore plus profond et plus poussé que le film de Guerman. Les deux films ont une tonalité parfois proche du fantastique, ou du surréalisme en tout cas... Notamment dans le film de Zulawski. Je pense à la scène où Jakub rentre chez lui et découvre le cadavre de son père, scène très poignante. On y voit une femme de petite taille jouant de la musique, complètement folle, qui semble elle aussi être un personnage complètement diabolique, et son existence dans cette séquence et celle qui suit n'est jamais expliquée. Et là encore, on ne peut que penser à Herzog et à son film très intriguant Les nains aussi ont commencé petit. La scène qui suit est intéressante d'ailleurs, lors de l'enterrement du père ! Il y a une réflexion très intéressante sur l'impossibilité d'un monde libre. Les faibles resteront quoiqu’il arrive prisonniers des forts, les sages prisonniers des criminels, et l’homme en général restera prisonnier de Dieu (dans les sociétés croyantes en tout cas).


L’esthétique du film est vraiment intéressante, entre décors pasoliniens et diversités de plan. Il y a en tout cas un mouvement permanent, rare sont les plans totalement fixes, tout ne cesse de bouger, au point de donner un certain vertige au spectateur, qui tend à renforcer, à nouveau, l'immersion de ce monde en pleine déchéance, de ce monde de l'insalubrité...


L’impuissance et l’innocence de Jakub finirent par le plonger dans une certaine colère et une folie. La conclusion de Dostoievski, concernant le Prince Muichkine était très pessimiste : un tel homme, d'une telle pureté, ne peut survivre dans un tel monde, dans notre monde. Tant d’innocence, tant d’amour christique, cela ne peut conduire qu’à la folie, folie à laquelle retournera Muichkine. Est-ce aussi la conclusion de Zulawski ? La pureté d’un homme dans un monde décadent ne peut rien y faire ; le germe du mal est déjà là, et il se propage, il sème ses graines. Jakub perd peu à peu cette pureté, c’est terrible, il se corrompt, car le monde telle qu’il est est une machine que l’on ne peut arrêter. Il devient lui aussi démoniaque, mais contre son gré, il se sent faible, il attend le salut, mais ce salut ne vient pas de Dieu, mais du Diable… La fin est assez forte, lorsque Jakub pose la question suivante : « Est-ce que le monde me paraît répugnant parce que je suis malade, ou parce qu’il l’est vraiment ? ». Les deux en vérité ; Jakub est malade par la contemplation (et même la participation) de l’atrocité du monde dans lequel il vit ; dans ce monde de fous, c’est lui qui est considéré comme le fou, au même titre que Muichkine dans L’Idiot. Mais c’est bien parce qu’ils ne sont pas corrompus, à l'origine pour Jakub, qu’ils voient cette affreuse décadence. C’est la victoire de Satan, de la décadence, de la perversité sur l'homme qui l’a rendu malade. Quant à la toute fin, j’ai du mal à la saisir ; arrive-t-on alors à s’affranchir du mal ? Il y a-t-il un message d’espoir quelque part ? J’en ai comme l’impression… Comme si Méphistophélès avait fini par perdre son combat… Mais pourtant je reste sceptique ; que signifie la matérialisation de son cadavre par le cadavre d’un chien ? Méphisto s’échappe-t-il à nouveau pour mieux revenir ? Je n’en sais rien ; le film est tellement éprouvant que nous sommes de moins en moins concentrés au fur et à mesure de l’oeuvre ; plus cela avance, plus je sombrais dans une forme d’incompréhension.


C’est une oeuvre assez intelligente, j’étais tellement troublé que je suis passé à côté de pas mal de choses à mon plus grand regret. J’ai comme un sentiment que je ne n’ai pas saisi quelque chose, comme si mon visionnage était incomplet. Car le film expose tant d'univers, propose tant de réflexions, tout en ne laissant que peu de moments de repos au spectateur ! C’est donc très éprouvant. C’est indéniablement un très grand film ; mais c’est surtout un film à revoir pour en saisir toute son essence.

Reymisteriod2
6
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le 7 janv. 2020

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Reymisteriod2

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