L’appel de l’adoré.
Portrait de femme comme on en trouve tant dans le cinéma nippon, Le destin de Madame Yuki dépeint le quotidien sordide d’une épouse, aussi délicate que son mari est vulgaire, aux appétits insatiables...
le 31 août 2017
6 j'aime
5
Certes on est en dessous de ce qu'on peut attendre de Mizoguchi. Certes Michiyo Kogure n’est pas Kinuyo Tanaka. Mais avec Le Destin de madame Yuki, le cinéaste retrouve enfin un souffle que les années 40 avaient eu du mal à entretenir — La Vengeance des 47 rônins étant l'exception — , et prépare en plus le terrain pour le chef d'oeuvre que sera Mademoiselle Oyu.
Ce qu'il y a d'intéressant, c'est que ce retour en (petite) force correspond à des obsessions picturales enfin pleinement assouvies. Les cadres sont littéralement fait de tableaux en arrière plan, de superbes matte painting. Et une fois qu'on les repère, difficile de les oublier, de ne pas les voir, de ne pas suivre leur trame. C'est comme un sous-texte, et même un commentaire implicite si on pousse la sur-interprétation. On perçoit qu'il s'agit de faux points de vue, mais la ressemblance reste frappante ; leur artificialité est en partie gommée. Il s'agit de paysages en apparence ; en réalité des toiles, des cloisons.
Comme plusieurs films de Mizoguchi, Le Destin de madame Yuki tourne autour de cette idée de faux murs qui tentent de maintenir les apparences. Les domestiques, par exemple, témoins passifs des drames conjugaux, permettent ici les angles obliques qui creuseront l’espace. Grâce à elleux, les cadres parcourent les pièces à la transversale pour donner à voir les cloisons à travers lesquelles entre amants officiels et officieux des mots passent, des pleurs s'entendent, des gens s'espionnent. Tout un monde d'apparences.
C'est cette atmosphère où l'on soupçonne ce qui est vrai ou non qui parasite les certitudes. Surtout lorsqu'au deux tiers du film, le mari de Yuki la traite de spectre, de fantôme, laisse échapper ces quelques mots comme par mégarde. Après une vingtaine de Mizoguchi, une telle information anodine réveille quelque chose dans l'esprit du cinéphile. Certes, je vois les plans longs où Madame semble flotter au dessus du rivage, j’aperçois sa figure cachée derrière les voiles qui parsèment son auberge, mais de là à parler de fantôme comme dans Les Contes de la lune vague après la pluie, c'est peut-être un peu osé, non ?
Puis vient ce final, cette brume, cette disparition en hors champ alors que le Soleil se lève. Oui, Madame Yuki est une créature de la nuit, un revenant, une ombre, un fantasme qui nous a échappé des mains, faute d'attention. Une femme qui, en cherchant à s'émanciper sans oser bouleverser l’ordre établi, préférant s'effacer, a finit par disparaître.
6,5.
[06/04/18]
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Créée
le 26 avr. 2022
Critique lue 28 fois
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