Quand je suis allé le voir, je n'avais vu absolument aucune bande-annonce, et je pensais que ce serait un documentaire familial. Ce n'est ni un documentaire, ni familial (mais alors là pas du tout).
Le film nous conte l'histoire de Chen Zhen et Yang Ke, deux étudiants chinois envoyés en Mongolie Intérieure, afin d'apprendre à lire et parler la langue aux populations locales. Bien entendu, eux aussi vont beaucoup apprendre de leurs hôtes. Alors que, comme le veux la tradition, on se met à tuer les louveteaux (retenez ça) dans leur tanière afin de limiter leur multiplication qui pourrait menacer les élevages, Chen Zhen va en recueillir un en secret, et va l'élever comme il le peut. Ne vous laissez pas avoir, le film n'est pas niais comme on pourrait le croire. Je reviendrai sur le propos plus tard.
Mon dieu que ce film est incroyable... Je suis allé voir Chappie le même jour, et alors que je sortais de la salle, je ne pensais pas voir aussi bon avant quelques temps... Et puis j'ai vu Le Dernier Loup, qui m'a encore bien plus marqué que Chappie !
Ce qui marque en premier lieu, c'est que ce film a une photographie absolument incroyable. Il y a des images tellement recherchées que vous n'avez probablement rien vu de pareil. Voir un champ de blé couleur or, recouvert de neige, avec les collines qui s'étendent jusqu'à l'horizon et le ciel crépusculaire qui prend les deux tiers du cadre, ou encore un plan d'ensemble où se mêlent crépuscule orange et nuages menaçants pour donner un sentiment d'apocalypse, sérieusement ce n'est pas juste beau.
Et puis cette photographie est loin d'être un poids qui ralentirait la mise en scène, le tout est parfaitement rythmé et on a le droit en prime à des scènes de pure tension ou de pure action. Je pense à la première rencontre avec les loups qui sait entretenir un build-up particulièrement impressionnant, ou encore la scène de course-poursuite dans la tempête, de nuit... Parce que oui, Annaud sait rendre une scène filmée de nuit en pleine tempête parfaitement rythmée, lisible et éclairée, mise en scène de ouf !
Ce qui me fait d'ailleurs une transition pour parler de l'éclairage. Bien entendu, il est très généralement naturel, mais il y a beaucoup de scènes de nuit, et elles sont tellement bien gérées au niveau de la luminosité et de la direction des sources... Franchement le chef opérateur a assuré pour le coup.
Pareil pour la post-production, le film est impressionnant niveau étalonnage, et les effets spéciaux sont réussis.
En fait, la technique serait irréprochable s'il n'y avait pas... Les mannequins. Le film nous montre à plusieurs reprises des mannequins d'animaux morts qui à tout instant nous rappellent qu'ils sont faux. Dommage, ça gâche tout le travail sur certaines images splendides, à l'instar du lac gelé transformé en véritable cimetière pour chevaux.
Tout cela pour finalement arriver au propos du film. Attention, n'emmenez pas d'enfants voir ce film, à moins que vous ne souhaitiez les défaire de leur innocence... Le film passe son temps à nous montrer la mort, et il y en pour tous les goûts : humain piétiné, gazelles bouffées, chevaux gelés, loups abattus au fusil ou qui se SUICIDENT (oui je vous jure des loups se suicident), des louveteaux trop mignons, qu'on jette en l'air bien haut, le tout avec une prière pour se donner bonne conscience. C'est très hardcore, et ça crée un sentiment de malaise insidieux, qui vous fait sentir, à tout instant, que le bonheur et l'innocence peuvent disparaître de manière brusque, pour mieux revenir et à nouveau être brisés. Car bien que le thème apparent soit l'écologie et l'emprise de l'homme sur la nature, l'un des thèmes principaux (et nombreux) du film est l'éradication pure et simple de l'innocence, le passage de l'enfance à l'âge adulte et la mort. Et puis ça ne s'arrête pas là : les loups, ce n'est pas tant un symbole de la nature qu'une population amérindienne face au colons, qui leur volent tout et les massacrent pour imposer leur culture qu'ils croient supérieure... Pareil pour les Mongols, qui vivent proches de la nature et à qui on impose des villages, et dont on défriche chaque terre jusqu'à la dernière. Les loups, dans ce film, c'est la différence : tant qu'on ne la connaît pas, on la voit simplement comme une menace et on ne cherche pas plus loin. C'est ce que montre la première demi-heure du film, où Chen Zhen va peu apprendre à connaître les loups, qui vont s'avérer des créatures diablement ingénieuses et capitales pour l'écosystème. Attention SPOILERS


Mais on les bute tous quand même au final, parce qu'on est des connards qui ne voient que leur seul intérêt. Tous, sauf le seul qu'on a su apprivoiser, au moins en partie, et qui représente la seule note d'espoir du film, une tentative de sauver la nature en lui permettant de déjouer nos propres pièges.


La morale, c'est d'accepter la différence, de ne pas voir les gens de la ville comme des gens qui ne connaissent rien à la vie, les mongols comme des arriérés païens, les loups comme une nuisance pure. Il faut reconnaître l'importance de tous, et ce, dans la paix et la tolérance.


Après, le film est d'une profondeur remarquable, et je n'ai pas parlé de tous les thèmes abordés, la cupidité, l'évolution de la médecine... Mais c'est franchement bouleversant, les personnages sont attachants, leurs rôles sont servis par des acteurs parfaitement justes.
Enfin, la musique s'adapte tout à fait à chaque situation, même si elle ne reste pas vraiment dans la tête en sortant de la salle.
Enfin bref, allez le voir si vous hésitiez, c'est un incroyable moment de cinéma, l'ambiance, à la fois touchante et insidieuse, est servie par une esthétique de haute volée, des acteurs parfaits et une histoire d'une grande profondeur.

Naskor
9
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le 30 mars 2015

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Naskor

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