Pour les tenants d'un certain dénigrement du cinéma national qui ne jure que par la merveilleuse Hollywood, et s'ennuie dès lors qu'il n'est plus question de scénarios pétaradants et de stars photogéniques encastrées à un kilomètre à la ronde, prière vous est faites de ne pas importuner d'autres sensibilités qui conserveraient une certaine affection pour "la qualité française" . Non pas celles des populaires comédies qui nous enjoignent à assimiler juifs, noirs et asiatiques à la France démagogique de bon aloi; non plus celles d'une altérité frelaté qui poussent le vice à vider de toute sécheresse le handicap social comme physique pas plus qu'a reléguer la surdité aux arcanes d'une nouvelle star qui chanterait la fraternité parentale pour oublier ses tares (le service des outrances est grand ouvert pour qui se sent consterné par ces présentes lignes). Plutôt celles nous embarquant dans des univers différents qui n'éludent pas l'aspérité tout en magnifiant la différence sans la "télégéniser".

Ce nouveau film D'Alix Delaporte tente, à son humble mesure, une approche délicate sur l'absence. Absence de lien social qui découle d'un manque paternel autant qu’apprivoisement forcée de la probable disparition d'un être cher, c'est notre rapport à L'Autre qu'essaye d'esquisser la narration. Elle suit pour cela une galerie de personnages plus ou moins marqués par la douleur qui trouvent dans la réunion de leurs émotions contrariées une force vitale. Ainsi en va t'il de cette mère cancéreuse et de son fils, pour qui la dégradation mentale et physique de celle ci est d'autant plus délicate à vivre qu'elle lui sert de rempart contre sa solitude en même temps qu'elle l'insuporte de par son manque de combativité. Lui qui lutte bravement le quotidien pour s'émanciper de son quotidien tendre mais pénible ne peut concevoir ce laissé-aller. Son truc, c'est le foot, sport d'équipe par excellence qui lui tend un miroir qu'il peine à retrouver dans son cercle intime. Il ya bien ces voisins espagnols fêtards dont la belle ado ne le laisse pas insensible, mais une forme de retenue plus que de timidité l’empêche de succomber à son désir. Entre vie nomade dans des caravanes de fortune et entrainements contraignants dans le centre de formation montpellérien, s'organise une existence contrastée.

Le retour d'un pater familias qu'il n'a jamais connu lui sert tout d'un coup de déclic. Séparé de sa maman pour des raisons qui nous resterons inconnues jusqu'à la fin mais dont on devine en filigrane son essence, il est depuis devenu un chef d'orchestre célébré. Intrusif dans la vie de cet homme qu'il désire ardemment comprendre mais très éloigné de cet univers artistique, ce choc des cultures s'annonce pour le moins hésitant. Mais à force de persévérance et de bonne volonté, l'ours mal léché finit par s'attendrir pour ce fils non désiré et s'entiche avec complicité de son développement personnel. La musique adoucit les mœurs, nous dit le classique adage, et il s'agit de s'en servir habilement pour révéler un nouvel horizon possible. Point de fausse condescendance dans cette astuce scénaristique, tant et si bien que la linéarité du parcours, pour facile qu'il puisse paraitre ( et c'est un peu le cas, reconnaissons le), évite de belle façon la mièvrerie inhérente à ce genre de parcours initiatique. Car il renvoie aussi à quelques moments d'une brutalité relationnelle non feinte et n'élude pas la question de la maladie en tant que champ parasite de l'amour filial. Et il use enfin et surtout d'un registre tellement galvaudé qu'il ne semble plus correspondre à notre époque si performative: la compassion. Qu'il s'agisse du regard tendre et bienveillant sur des éclopés qui s'inventent leur propre organisation sociale pour mieux combattre la morosité , ou de ces brèves mais si précieux regards de complicité entre mère- père et fils, il s'invente un nouveau regard apaisant. Il en va ainsi pour pour ce petit frère de substitution et l'amour naissant pour l'amazone ibère.

Qu'il est plaisant de pouvoir s'attendrir pour un cinéma humaniste qui sait parler au cœur sans prendre son public pour une machine à cash. Conscient de sa fragilité, il n'est pas exempt de quelques défauts mais sait en puiser une matière romanesque qui les transcende. N'en déplaise aux éternels grincheux qui n'y voient que faiblesse et perte de temps. Bravo aussi aux jeunes comédiens qui incarnent de fortes personnalités et mention spéciale au ptit gars roublard qui devrait bientôt se faire repérer si ce n'est pas déjà le cas. Clotilde Hesme est quand à elle toujours aussi émouvante et renouvelle brillamment sa récurrente incarnation de femme fragile alors que Grégory Gadebois n'est pas toujours le plus crédible mais se rattrape par un naturel charmeur qui n'est pas pour déplaire.

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le 15 mars 2015

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