Voilà très longtemps qu’un film n’avait pas provoqué en moi des sentiments si contradictoires. Ou le fugacement sublime avait à ce point côtoyé le pleinement vain et raté.
En un sens, cet empilement de couches presque étanches mérite en lui-même le détour pour peu que vous soyez curieux ou avides de choses un tantinet différentes.


Les montagnes Gruss


Les deux heures de ce congrès constituent un bordel artistique relativement inédit, un véritable cirque émotionnel dont je suis prêt à prendre le pari que ce qui m’a emballé pourra être ce qui repoussé mon voisin, et inversement.
Comme si, d’un carquois émotionnel bien rempli, Ari Folman avait copieusement arrosé le paysage de flèches maladroites, sauf une, qui m’avait frappé en plein cœur.


Vous avez sans doute lu le pitch quelque part: on propose à Robin Wright de scanner le corps et les émotions pour que le clone ainsi créé puisse prendre la suite de la carrière à l’écran, évitant les erreurs et les mauvais choix, dus au manque d’assurance de cette dernière.
Une fois chose faite, la toujours délicieuse Robin s’enfonce, par le truchement de drogues nouvelles, dans un monde imaginaire. C’est le moment où le film bascule dans l’animation, peu avant sa moitié, et change radicalement de cap.


Alice au pays des merdes vieilles


Comme beaucoup, je n’ai absolument pas gouté à toute cette deuxième partie qui conjugue un esthétisme pour le moins discutable (ou totalement hideux selon votre degré de tolérance, mixant un côté vintage inadéquat et une animation lorgnant du côté des triplettes de Belleville) et des thématiques un poil ineptes et prétentieuses (oui oui, adapté d’un roman de SF polonais, d’accord)
Il faut dire qu’a avoir voulu scanner toutes les émotions de son héroïne, le réalisateur est allé au bout de sa logique: nous passons nous aussi par toutes les strates imaginables: tristesse, ennui, dégoût, peine, émerveillement, joie, plaisir.
Parce que voilà, si plus de la moitié du film (la deuxième, donc) m’a semblé longue et en partie ratée, le début m’a réservé quelques belles surprises, dont une scène sublime dont je ne me suis toujours pas remis, et qu’il faut que je partage séance tenante.


Le festival de scan


La partie en images "réelles" propose en effet de biens agréables moments (comme Robin toisant l’affiche de Princess Bride) et soulève quelques questions intéressantes (quels choix réels faisons-nous dans la vie? Quel est notre réel degré de liberté ? Que serions-nous capables de faire débarrassés de nos névroses ? Quelle serait notre vie si un double en remplissait une partie ?).


Il semble en fait que toute cette intro concourt à atteindre un point clef, cœur névralgique du récit, scène lumineuse inoubliable, qui contribuera pour moi à classer le congrès dans une catégorie résolument à part. Je vais essayer de dire en quelques mots en quoi elle m’a à ce point touché, tout en essayant d’en dévoiler le moins possible. Bien entendu, vous pouvez faire le choix de ne pas lire le paragraphe qui suit pour garder intact votre faculté de découverte et d’émerveillement.


Il s’agit de la scène du scan, pendant laquelle Robin Wright doit passer par la plus large palette d’émotions possible, dernière performance de la vie artistique de l’actrice à ce moment du récit. L’instant est totalement fabriqué, on en distingue clairement toutes les ficelles (d’autant qu’elles ne sont nullement cachées) mais tout s’imbrique parfaitement pour transformer la scène en moment de grâce. Le récit de Al, l’agent de Robin (formidable Harvey Keitel, plus vu depuis longtemps à pareil niveau) faisant résonner plusieurs thèmes profonds (les défauts, les failles, l’amour, le définitif), la musique envoutante de Max Richter, l’aspect visuel rythmé et hypnotique de la machine, s’imbriquent en un petit miracle inattendu, un maelstrom émotionnel dévastateur qui m’ont cueilli comme une fleur fragile, moi qui croyait ma cuirasse épaisse comme la peau d’un vieux rhino à qui on en la fait plus.


Wright in the middle


On le sait tous ici, la notation sur SencCritique est une activité volontiers surréaliste, faisant, pourquoi pas, se côtoyer un nostalgique "les bidasses en folie" à un Lang moyen vu un soir de fatigue, mais en l’occurrence, l’exercice semble au dessus de mes moyens pour sanctionner ce congrès.
10 pour quatre minutes subjuguantes, sa première partie séduisante, ou 3 pour sa prétention tapageuse et sa laideur formelle ?
9 pour son ambition louable et sa prise de risque si rare ou 4 pour son récit abscons et boursouflé ?
Pire que tout, graviter autour de 5 ne rendrait aucunement compte de la singularité de l’œuvre.


C’est donc en fermant les yeux et au son de "all your joys, all your pains" (le morceau de Richter qui accompagne la fameuse scène) que j’ai attribué une note aléatoire à cette tentative hors-norme dont les parts d’ombres tétanisantes sont traversées d'éclairs de lumière inoubliables.

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le 21 janv. 2014

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guyness

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