Ce qui est étonnant avec Le Conformiste, c'est que j'y suis venu par ma sériephilie. Film-référence de Matthew Weiner pour sa série Mad Men (selon ses dires lors d'une masterclass), j'étais du coup très curieux d'y voir des éléments en commun, ou plus globalement ce qui avait pu inspirer ce créateur si génial.


Adapté d'un roman de 1951 (si peu longtemps après la guerre !), Le Conformiste se déroule aux prémices de la seconde guerre mondiale pendant la montée du fascisme en Italie, allant jusqu'à la fin de la guerre. Le grand tour de force du film de Bertolucci est d'en faire un récit à hauteur d'homme, un récit psychologique avant tout, le récit d'un homme en proie à des traumatismes d'enfance qui va tout faire pour atteindre une normalité de façade, un moyen de trouver sa place dans la société. Et si cette normalité peut s'atteindre en rejoignant le parti fasciste, en se mariant à une petite bourgeoise qu'on trouve idiote, qu'on passe par une religion à laquelle on ne croit pas, eh bien qu'à cela ne tienne.


Le film est donc un drame, mais sans les drames de la guerre ou de la discrimination, ne s'attachant qu'aux doutes et dilemmes du personnage principal, Marcello Clerici. Marcello se fait transporter en voiture par son chauffeur et garde du corps, participe à des fêtes mondaines, séduit les femmes et traverse des bâtiments mussoliniens aussi immenses que déserts. Comme souvent avec les films italiens post-néoréalisme de cette époque, les dialogues post-synchronisés donnent un léger côté désincarné aux personnages, mais cela sert finalement ici assez le film en donnant une certaine superficialité à quelques personnages. En tout cas, le doubleur de Jean-Louis Trintignant est tellement incroyable que la voix se marie parfaitement avec le charisme tranquille mais autoritaire de l'acteur.


Aidé par un jeu sur les couleurs sublime, des cadres extrêmement travaillés et des compositions de George Delerue magnifiques, Le Conformiste ne suit pas forcément toujours une ligne narratrice très claire mais regorge de scènes qui prennent aux tripes par leur beauté, qu'elle soit esthétique ou psychologique. Quatre heures après avoir vu le film, je repense à cette scène de confession devant le curé, à la fois terrifiante, drôle et bouleversante, Marcello improvisant un discours sur la normalité qui me touche beaucoup. Je repense aussi à ce plan où Marcello reste debout, seul, pendant qu'une ronde de fêtards italiens et française dansent autour de lui, le pressant contre lui-même telle une métaphore de la société. Je repense aussi à ce flashback où le jeune Marcello se fait agresser par des jeunes de son âge, avant de les dépasser en voiture en les regardant par la fenêtre.


Bref je repense à beaucoup de moments qu'il serait idiot et dommage de lister ici, mais le plus étonnant est que je repense aussi à des passages paraissant complètement anodins dans le film, et qui le sont d'ailleurs peut-être, mais qui au regard rétrospectif de la vision de Mad Men me sont peut-être encore plus passionnants que les autres. C'est que l'influence du Conformiste pour la série est criante, non seulement pour ce portrait d'homme cherchant à paraître normal au sein d'une société en pleine mutation, mais aussi plus directement en termes de cadres, de gestes.


Impossible ainsi pour moi de ne pas penser à ce qui reste une de mes expériences sérielles les plus bouleversantes de ma vie lorsque Marcello prend soudainement dans ses bras un personnage (ok, j'ai oublié qui, mais peu importe) vers le début du film, un geste faisant directement écho à l'étreinte quasiment finale de Don Draper envers Stuart, un quarantenaire ayant tout juste livré un monologue absolument bouleversant sur sa dramatique banalité au quotidien. Chaque geste accentue alors le sens de l'autre, le film et la série se répondant sans cesse dans mon esprit, s'enrichissent mutuellement. Dans les deux cas, j'avais rarement vu un discours aussi juste et subtilement bouleversant sur la normalité, la société et comment les deux interagissent.


Quand Marcello joue au gangster avec son nouveau flingue et qu'il passe le temps d'une seconde ce flingue sur sa tempe en cherchant son chapeau, il suffit de celle seule seconde pour entrer profondément dans la psychologie du personnage et y voir un désir de suicide aussi bref que terrifiant, un désir d'échappatoire brut, universel. Un rejet du conformisme.

Antofisherb
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le 10 nov. 2015

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Antofisherb

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