Adapter Carson McCullers est une entreprise ô combien complexe dans la mesure où prévalent, dans ses romans, les paroles intérieures d’une série de personnages pris d’un vertige existentiel, celui d’être confrontés à leur solitude profonde en dépit de leur ancrage dans des communautés bien définies. Roman choral axé autour de cinq personnages principaux (Singer, Biff, Blount, Copeland et Mick), Le Cœur est un chasseur solitaire voit sa structure polyphonique ici simplifiée à deux voix majoritaires : celle de Singer, sourd-muet enfoui dans une terrible morosité après l’enfermement de son meilleur ami, et celle de Mick, jeune fille aux allures de garçon. Tous deux sont campés par de très bons acteurs, en particulier Alan Arkin, parfait dans un rôle difficile à interpréter. Le réalisateur raccommode le récit original pour le faire tenir dans la durée (soit deux heures) et l’agencement dramatique canoniques d’une production hollywoodienne traditionnelle, élude pour cela de nombreux passages tout en conservant les plus fondamentaux. On regrettera cependant l’aseptisation galopante des caractères qui semblent subir une censure morale : le trouble de la relation qui unit, dans le roman, Biff à Mick n’est pas traité, le meurtre commis par un jeune garçon passé sous silence, l’amour tragique entre Mick et Harry réduit à rejouer la romance insipide que l’on a déjà vue et revue. En outre, Miller ne parvient jamais à transformer Singer en figure sphinxiale qui détient, aux yeux des autres, le secret de l’univers. La clausule achève d’en faire un romantique blessé désormais en paix – il a rejoint son ami – et dont la disparition n’a d’impact que pour la fille qui l’aimait en secret. La grande erreur de cette adaptation est de refuser de percevoir les aléas d’un cœur qui bat comme phénomène climatique ; Carson McCullers érigeait pourtant les conditions atmosphériques et météorologiques, le temps qu’il fait et les saisons qui passent, au rang de protagoniste à part entière, de personnage-somme dans lequel se réverbèrent les préoccupations des hommes, leurs espérances et leurs angoisses. Car les corps sont moites dans cette ville écrasée sous la chaleur ; les corps sont estropiés, malades, enviés, déflorés dans des compositions lumineuses et chromatiques souvent plus loquaces que les propos des personnages. Le film n’extrait de l’œuvre originale que la romance impossible sur fond de violence raciale, met donc en images un segment du roman. Incomplet, mais honnêtement retranscrit, Le Cœur est un chasseur solitaire aurait besoin d’un format plus vaste – la série par exemple – pour déployer sa mélancolie et son vertige. À moins que ceux-ci, parce qu’ils relèvent avant tout de la puissance tragique du verbe, ne soient simplement pas adaptables.

Créée

le 1 sept. 2019

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