Farhadi possède le talent toujours appréciable de savoir nous embarquer dans des registres auxquels nous ne lui prêtons pas forcément voix. Il est de plus assez rare qu'un cinéaste iranien sache séduire un public assez large tout en gardant une certaine radicalité, dans la forme comme dans le fond. Panahi, Rassoulof, Makhmalbaf ou feu Kiarostami ont ou avaient également cumulé les plus prestigieux prix internationaux sans avoir une aura hexagonale aussi prégnante que la sienne. Peut-être est ce du à son autopsie régulière de la société iranienne contemporaine sous un prisme plus "occidental" que ses compères.


"Le Client" semble affirmer le désir du cinéaste d'ouvrir de plus en plus son cinéma à un panel ample, impression déjà largement ébauchée avec le grand succès mondial public et critique de "Une Séparation". N'y voyez pas ici un reproche de ma part, ce dernier restant à bien des égards un bon, voir un très bon cru. Simplement le fait que ce nouveau portrait en déshérence d'un couple bohème me parait moins questionner L'Iran que sa propre place dans le 7ème art aujourd'hui. Il suffit pour s'en convaincre d'analyser le ressort dramatique théâtral D'Arthur Miller présente dans ce film comme d'un reflet de sa propre condition d'artiste. Et puis il ne serait pas totalement vain d'asseoir un avis le plus juste possible sans se référer à un autre réalisateur adoubé par les festivals, le turc Ceylan. "Winter Sleep" usait pareillement d'une introspection conjugale à la Tchekov avec un partis prix de réalisation plus proche d'une pièce que d'un dispositif classique. A la différence de taille que le premier l'inscrit dans le scénario tandis que le second en jouait dans ses cadres très contemplatifs.


En ressort ici une dynamique plus soutenue ou le suspense est moins un artifice qu'un moyen de confronter la défiance et l'incertitude d'un ménage. Miller comme Tchekov aspirent à rendre à l'humanité sa moralité bafouée par la réussite sociale et ainsi remettre en cause les certitudes de chacun. Pas étonnant donc que les deux auteurs trouvent en leurs prestigieux comparses un matériau similaire. Farhadi est cependant moins cynique avec ses personnages, et s'il n'élude rien de la violence rentrée du mari, préfère se concentrer sur ce que la solitude peut générer comme actes. Sans oublier de continuer de dessiner en creux un regard moraliste sur un pays sans arrêt déchiré entre son histoire perse et son désir jamais démenti d'occidentalisation.


Les prix d’interprétation masculine et du scénario cannois n'apparaissent pas illégitimes, sans pouvoir en juger réellement dans l'attente des autres productions. On peut juste reconnaître aux comédiens une belle vigueur et aux cadres énergiques une maîtrise dans la lignée de ce que sait faire le filmeur farsi. On n’atteint pas ici l'éclatante réussite de ses deux précédents films mais on lui sera gré d'atteindre un niveau d'exigence jamais démenti. Parmi le haut du panier pour cette année!

Sabri_Collignon
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le 14 nov. 2016

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